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accord entre les grandes écoles métaphysiques. Avec Hegel, Schopenhauer et presque toute la nouvelle philosophie allemande, il distingue la finalité de l’intention, qui n’en est pas le caractère essentiel. « On ne doit pas concevoir, dit Hegel, le but sous la forme qu’il revêt dans la conscience, c’est-à-dire sous la forme d’une représentation[1]. Ce qui fait surtout la difficulté, c’est qu’on se représente ordinairement le rapport de finalité comme un rapport extérieur, et qu’on pense que la finalité n’existe que là où il y a conscience[2]. » Le but n’est pas nécessairement un effet réalisé d’après une idée préconçue ; il est la conformité interne des choses à leur idée ou essence. La finalité n’est donc pas seulement immanente : elle est inconsciente. L’instinct offre la preuve que l’intention n’est pas une condition essentielle de la finalité. Aussi la difficulté du problème posé par M. Janet n’existe-t-elle point, tant qu’il ne s’agit que des êtres de la nature. C’est quand on arrive à la cause finale première que la question soulève des doutes sérieux. Après avoir exposé et discuté les solutions contradictoires de la philosophie contemporaine, il résume sa pensée dans une conclusion éclectique qui montre tout à la fois sa préoccupation des difficultés du problème et son désir de rester fidèle au principe de l’école à laquelle il s’honore d’appartenir : « La doctrine du Νοΰς ou de la finalité intentionnelle, n’a d’autre sens pour nous que celui-ci : c’est que l’intelligence est la cause la plus élevée et la plus approchante que nous puissions concevoir d’un monde ordonné. Toute autre cause, hasard, lois de la nature, force aveugle, instinct, en tant que représentation symbolique, est au-dessous de la vérité. Que si maintenant l’on soutient, comme les alexandrins, que la vraie cause est encore au-delà, à savoir au-delà de l’intelligence, au-delà de la volonté, au-delà de l’amour, on peut être dans le vrai, et même nous ne risquons rien à accorder que cela est certain, car les mots des langues humaines sont tous inférieurs à l’essence de l’absolu. » Se réfugier dans l’absolu, pour échapper à la difficulté, n’est-ce pas se perdre dans une abstraction inintelligible ? N’y a-t-il pas une solution plus simple, plus claire, plus philosophique du problème ? Nous dirons toute notre pensée dans la conclusion de cette étude, sur un sujet qui semble se dérober aux prises de la science humaine.


III

Nous ne connaissons pas de philosophe qui manie aveu plus de vigueur et de dextérité que M. Janet les problèmes de la

  1. Logique, parag. 104, 1.
  2. Philosophie de la nature, parag. 360.