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et qui à l’imagination paraît la plus cruelle, c’est aussi celle qui est le plus efficacement soulagée. La charité publique, qui a recueilli sur ce point les traditions de la charité chrétienne, remplit ici largement son devoir et n’a que des progrès de détails à réaliser ; mais si au point de vue matériel on met les enfans abandonnés en état de se tirer d’affaire dans l’existence, au point de vue moral, on ne saurait leur assurer ce qui leur a été refusé à leur entrée dans le monde : la famille. Presque toujours il leur manquera ces affections qui font sinon aimer, du moins supporter la vie, et ils échapperont bien rarement à cette défaveur que, préjugé ou non, la seule épithète d’enfant trouvé attire sur leur tête. Aussi ne saurait-on s’empêcher d’envisager les efforts qu’on fait dans leur intérêt d’un œil assez différent, suivant qu’on se place au point de vue de la société ou au point de vue d’une certaine philosophie. Un de nos critiques littéraires, dont la pensée hardie ne recule devant aucun problème, faisait remarquer tout récemment quelles contradictions et (pour parler un langage d’école) quelles antinomies se cachent au fond de cette loi du progrès, dont on prétend de nos jours faire une religion, et combien d’améliorations apparentes sont achetées en réalité au prix d’un mal latent. « Nous nous donnons beaucoup de peine, disait M. Schérer, pour faire vivre les enfans chétifs et pour prolonger l’existence des débiles et des infirmes ;… mais nous ne nous sommes pas aperçus que nous compromettions ainsi la santé, la beauté et la force des générations futures. » Ces réflexions ne peuvent-elles pas aussi bien s’appliquer aux efforts qu’on fait pour disputer à la mort les enfans abandonnés, sans songer à la tristesse probable de l’existence qu’on leur prépare ? Aussi, après s’être assuré par acquit de conscience que la science hygiénique et la prévoyance administrative associent leurs ressources pour diminuer la mortalité des enfans abandonnés, peut-on se consoler de l’insuffisance des résultats en se reportant à cette pensée d’un poète ancien traduite par un poète moderne, et en se rappelant

Ce que disaient nos pères, Que, quand on meurt si jeune, on est aimé des dieux.


OTHENIN D’HAUSSONVILLE.