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la morale abstraite, on comprendrait l’hésitation, bien que, à ce point de vue, la solution ne fût pas à mes yeux un seul instant douteuse. Il faudrait en effet envisager le problème sous toutes ses faces et ne pas oublier que, s’il y a quelque chose d’assurément très regrettable dans l’augmentation d’un crime aussi grand que l’infanticide, d’un autre côté, en déterminant les mères naturelles à conserver leurs enfans, on travaille (quoi qu’en dise M. le docteur Brochard) à la moralisation générale ; mais au point de vue social et économique aucune hésitation n’est possible. Il suffit de se rendre compte que, tandis qu’un enfant abandonné demeure à la charge de la fortune publique jusqu’à douze ans, parfois même au-delà, les secours accordés aux mères naturelles ne dépassent presque jamais trois ans. Une considération d’un tout autre ordre est à mon avis plus décisive encore ; c’est que la mortalité est beaucoup moins grande chez les enfans d’un jour à un an secourus temporairement que chez ceux élevés par les hospices. La proportion de la mortalité chez les uns n’est que de 29 pour 100, tandis qu’elle est de 57 pour 100 chez les autres. La question de la mortalité des enfans nouveau-nés est pour la France d’une importance telle que cet argument me paraît un des meilleurs qu’on puisse invoquer en faveur du système des secours temporaires. En résumé, ce système paraît donc triompher en pratique des critiques qu’on peut diriger contre lui en théorie. Il est entré profondément dans nos mœurs administratives, et, quelques efforts qu’on fasse, on n’amènera pas les départemens à consentir au rétablissement des tours. Il en est, à vrai dire, des tours, comme de beaucoup d’institutions du passé qui ont eu, en l’absence d’une organisation plus réfléchie, leur utilité et leur raison d’être, dont la suppression est inséparable de certains inconvéniens qu’il est facile de mettre en relief, mais qu’on ne reverra jamais parce que le rétablissement de ces institutions entraînerait des inconvéniens plus grands encore. Laissons donc de côté les controverses théoriques, et voyons comment le service des Enfans-Assistés fonctionne dans le département de la Seine.


II

Dans un drame populaire qui faisait autrefois couler bien des larmes et dont le principal rôle avait été créé par Mme Dorval, une ouvrière était contrainte par la misère et par l’inconduite de son mari d’abandonner son enfant. Le décor représentait, à la clarté d’un réverbère fumeux, une longue muraille basse, percée de rares fenêtres grillées, et au milieu l’ouverture béante du tour. La pauvre mère s’approchait en chancelant, déposait l’enfant dans la boîte du tour et tirait la sonnette d’une main hésitante. Le tour pivotait