Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/491

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

influences, mais ce qui prouve bien le rôle de ces influences dans la criminalité.

Un dernier chiffre va enfin nous montrer la triste condition sociale de ces enfans, auxquels on en vient véritablement à se demander si l’on peut appliquer la qualification de criminels : c’est celui des illettrés. Le nombre de ceux qui ne savaient ni lire ni écrire, ou qui savaient lire seulement, c’est-à-dire qui en réalité n’avaient reçu que les rudimens de l’instruction primaire, s’élevait à 4,930 sur 6,512 pour les garçons, c’est-à-dire à une proportion de près de 76 pour 100, et pour les filles à 1,271 sur 1,512, c’est-à-dire à une proportion de plus de 84 pour 100. Ce serait cependant se placer à un faux point de vue que de considérer l’ignorance de ces enfans comme la cause directe de leur criminalité. Un écrivain qui s’est occupé avec beaucoup d’ardeur de ces questions, M. Charles Robert, a développé. avec chaleur, dans une conférence faite à Paris, la nécessité d’envoyer les enfans à l’école, et il a fait paraître cette conférence en brochure sous ce titre : École ou Prison, Le dilemme est juste, si on veut dire que les enfans qui vagabondent au lieu de fréquenter l’école, finiront par devenir les hôtes de la prison ; il est excessif si l’on entend dire que les notions reçues à l’école ont par elles-mêmes une vertu suffisante pour les préserver du vice. L’impitoyable statistique est là pour dire qu’il n’y a aucune corrélation entre l’état du développement de l’instruction primaire dans les départemens et ce qu’on pourrait appeler leur moralité légale. Les départemens qui fournissent le moindre contingent criminel, comme la Nièvre, l’Ariège, le Cher, l’Indre, occupent un rang très défavorable sur la liste des départemens classés d’après l’ordre décroissant de l’instruction des habitans : la Nièvre le soixante-septième, l’Ariège le quatre-vingt-deuxième, le Cher le quatre-vingt-huitième, l’Indre le quatre-vingt-septième. Par contre, sur les dix départemens classés les premiers au point de vue de l’instruction, dix sont au-dessous de la moyenne de la probité légale, et un atteint à peine à cette moyenne. Il n’y a donc pas de présomption absolue à tirer de l’ignorance à la criminalité. Ce qui est vrai, c’est que l’ignorance est presque toujours l’indice d’une extrême misère, et que la plupart des enfans criminels sont des enfans misérables qui n’ont reçu aucune éducation ni morale, ni intellectuelle.

Telle est la conclusion à laquelle conduit forcément le dépouillement peut-être un peu aride des tableaux statistiques. C’est ce qui m’a déterminé à ouvrir par quelques renseignemens sur la criminalité la série d’études que je me propose de consacrer sur un terrain circonscrit aux différens aspects de la misère physique et morale chez l’enfance. Si ces observations ont surtout Paris pour