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lien, qui a été aussi un Français, que la Revue a compté parmi ses plus éminens collaborateurs, Pellegrino Rossi, dont on inaugurait il y a quelques jours la statue à Carrare, en attendant qu’il ait son monument à Rome, sur la place où il a péri pour une grande et généreuse idée.

C’est un trait caractéristique de l’Italie nouvelle. Les Italiens ont tout un arriéré de mémoires à honorer, et depuis quelques années ils s’acquittent fidèlement de ce devoir. Les Carrarais, en honorant Rossi, ont voulu consacrer le souvenir d’un compatriote, de celui qui était né dans leur ville, et, par une ingénieuse délicatesse, ils ont choisi pour cet hommage l’œuvre d’un autre Carrarais, de l’illustre Tenerani, qui avait pour Rossi une amitié aussi vive que sincère. Ils ont fait exécuter une copie de la belle statue que Tenerani a taillée dans le marbre le plus pur et qui est dans les jardins Massimo à Rome. C’est cette statue, représentant Rossi avec sa physionomie expressive et fière, qui a été récemment inaugurée à Carrare, au milieu d’une affluence de peuple où se mêlaient des hommes politiques, un sénateur florentin, M. Digny, le général Cucchiari, qui est lui aussi un Carrarais, des députés, M. Borgatti, M. Massari. Il y a vingt-sept ans que Rossi tombait sous le fer d’un meurtrier en allant, comme ministre du pape, ouvrir le parlement romain. Vainement on l’avait prévenu du danger qui le menaçait ; il méprisait les sicaires autant qu’il était passionné pour l’œuvre à laquelle il se dévouait, et au moment où il se sentait frappé à mort sur le seuil du parlement, il foudroyait encore son assassin d’un dernier regard dédaigneux. Que serait-il arrivé s’il eût vécu, si à ce moment de la fin de 1848, dans un centre tel que Rome, il avait pu exercer plus longtemps le pouvoir ? Son esprit résolu eût peut-être changé le cours des événements. Depuis le jour de sa mort, la nation italienne a certes grandi singulièrement et en partie par la propagande des idées modérées, libérales, patriotiques, de Rossi. L’Italie n’a cessé de revendiquer comme un des siens cet homme éminent qui avait eu une vie agitée avant de trouver une mort tragique, qui avait été tour à tour exilé après 1815, citoyen suisse, professeur, membre de la chambre des pairs, ambassadeur en France, et qui partout, dans toutes les situations, avait gardé sa foi à sa patrie première pour laquelle il revenait mourir. Nul mieux que M. Massari, qui a été l’ami de Rossi, ne pouvait retracer cette existence, parler aux Carrarais de l’homme dont ils saluaient l’image dantesque, et M. Massari l’a fait avec une bonne grâce émue et éloquente, l’esprit tout plein des souvenirs de celui qu’il a connu et des luttes nationales où il a été, lui aussi, un soldat toujours fidèle.


CH. DE MAZADE.


Le directeur-gérant, C. BULOZ