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Mourad V, va ceindre le sabre d’Othman. Cette fois c’est le souverain populaire, acclamé par les softas, bien intentionné, arrivant les mains pleines de réformes et même avec une promesse de constitution. Que se passe-t-il ? Avant que peu de semaines soient écoulées, le nouveau commandeur des croyans n’est plus qu’un malheureux frappé dans sa santé et dans son intelligence. Il n’a pu résister aux troubles d’un avènement accompli dans des circonstances tragiques, au spectacle de ses ministres assassinés par un furieux : il est fou ! Le sauveur de l’empire, enfermé au sérail, a besoin d’être sauvé de lui-même, et quatre mois, jour pour jour, après la disparition de son prédécesseur, le voilà déposé, toujours avec l’aide de l’interprète de la religion, du cheik-ul-islam appelé en consultation. Abd-ul-Azis avait été dépouillé de la couronne parce qu’il compromettait l’état ; Mourad V était malade, et la loi dit que, lorsque le souverain passe plus de deux mois et demi sans pouvoir s’occuper des affaires de l’empire, il peut être déposé : Mourad a cessé de régner ! Les médecins ont donné le bulletin de sa santé perdue à l’appui de la sentence du cheik-ul-islam, et depuis quinze jours il y a un nouveau sultan, Abd-ul-Hamed II, qui à son tour naturellement promet plus que jamais des réformes, qui a déjà publié son hatt impérial. Il faut espérer que celui-ci sera plus heureux, et qu’il pourra épargner à l’Europe l’embarras de savoir si elle n’aura pas bientôt un nouveau souverain à reconnaître.

Ce qu’il y a de plus grave, c’est que cette mobilité de règne est moins un accident de circonstance qu’un symptôme : elle déguise à peine l’immense et profonde anarchie qui mine l’empire turc depuis bien des années sans doute, mais qui s’est manifestée dans ces derniers temps sous des formes plus persistantes et plus aiguës. Cette anarchie, elle est dans l’administration financière, la Porte en a fait le triste aveu par une banqueroute qui a tué son crédit sur tous les marchés du monde, qui a été certainement funeste pour sa cause au début de la crise où elle est engagée. Et l’anarchie financière n’est rien encore auprès de cette autre anarchie brutale et sanglante qui s’est déchaînée il y a quelque temps dans la malheureuse Bulgarie, livrée un moment à une soldatesque effrénée. On n’en peut plus douter aujourd’hui : ce ne sont pas seulement des journaux qui le racontent, le consul américain, M. Schuyler, après une enquête impartiale et sérieuse, a constaté l’œuvre de destruction, Aux premiers signes d’insurrection qui ont paru se manifester en Bulgarie au mois de mai, des bandes d’irréguliers, de bachi-bozouks, ont mis l’infortunée province à feu et à sang, promenant partout l’incendie, le meurtre et le viol, détruisant les villages, souillant les églises, chassant devant eux les femmes, les enfans et les vieillards. Sous prétexte de rétablir la paix, ils ont dévasté toute une contrée, en prenant pour complices les passions des habitans mahométans. Le gou-