Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montagne, des pierres noires, ce qui donne au village déjà silencieux un aspect sombre et triste. Tous ces bommes aux figures longues, osseuses et cruelles, ne détournaient même pas la tête pour regarder l’étranger. On lisait dans leurs yeux l’indifférence, l’apathie de ces malheureux, qui se sachant éternellement condamnés à souffrir, laissent passer sans en rien attendre les jours sur les jours, les années sur les années, et trouvent déjà trop pesant le seul souci de subvenir, au milieu de cette nature ingrate, aux premiers besoins de leur existence.

Mon guide me conduisit à une maison qu’il connaissait, où l’on nous fit, comme partout en Grèce, cet accueil simple et cordial que j’avais déjà rencontré à Trisonia, puis il me quitta en m’assurant que durant tout mon séjour l’hospitalité de ses amis ne me ferait pas défaut. Cette promesse ne m’empêcha pas de songer que je me trouvais dès lors seul, inconnu, au milieu du peuple le plus mal famé de Grèce, et j’aurais déjà regretté d’avoir étendu mon excursion, si mes regrets n’eussent pas été désormais inutiles. — La salle où j’étais livré à mes réflexions était assez grande et claire, bien que la soirée fût déjà avancée ; une minute suffisait pour en connaître les détails : un petit bahut noir, trois escabeaux de bois à peine dégrossi, deux tapis étendus l’un sur l’autre, une cheminée large et basse dans laquelle fumaient, sans brûler encore, quelques branches sèches, c’était là tout l’ameublement. Une femme jeune, mais déjà ridée et la poitrine flétrie, filait près du foyer et poussait du pied, en récitant tout bas des chants incompréhensibles, un berceau d’enfant posé à terre et creusé dans un tronc d’arbre. L’enfant était soigné dans sa couchette rustique, et sa figure pâle avec ses grands yeux noirs n’avait rien de maladif ; sa chemisette était très blanche et tranchait sur la couverture rouge dont il avait le bas du corps enveloppé ; de temps en temps il agitait en l’air ses petits bras et souriait ; il finit par s’endormir, et je sortis sans bruit pour ne pas l’éveiller.

La soirée était fraîche et pure, je voulus voir de près ces maisons d’un genre nouveau pour moi. Les rayons de la lune glissaient entre les murailles toutes noires et brillaient à travers le feuillage des arbres à demi dépouillés ; les unes, enveloppées d’une auréole lumineuse, apparaissaient perchées sur une pointe de rocher, plus élevées que les autres, comme les tours carrées d’une vieille forteresse turque ; d’autres, plus bas, dans l’ombre, noires et tristes, semblaient inhabitées ; une autre, percée de deux fenêtres longues et étroites, brillantes à la lueur rougeâtre d’un feu ou d’une lampe comme deux tisons ardens, semblait au contraire animée et bruyante ; une petite terrasse s’avançait devant la porte couverte de vigne