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charme de cette existence primitive, je fis comme tout le monde, et je m’étendis à mon tour.

Le soir, on soupa gaîment de diavourti (sorte de lait caillé), de galette noire, de fromage et de fruits ; puis les jeunes gens et les jeunes filles, au milieu de toute la colonie amicalement réunie, se mirent à danser en chantant, La nuit était pure comme un beau jour de France, éclairée par les rayons de la pleine lune dans un ciel lumineux d’étoiles ; une brise légère, encore tiède, soufflait de la mer et des montagnes voisines, semant d’étincelles sans nombre la surface argentée des flots. La danse finie, on étendit de nouveau les tapis devant les maisons, et chacun se drapant à sa guise s’endormit après avoir encore jeté à son voisin un fraternel bonsoir.

Je m’éveillai le lendemain ; il n’était pas quatre heures : les tapis étaient déjà enlevés, tout le monde était au travail. Je suivais dans un demi-sommeil l’agitation de ce petit peuple qui m’apparaissait comme en rêve : chacun profitait de la fraîcheur du matin pour avancer sa tâche. Les chèvres, les petits chevaux, les bœufs broutaient en liberté autour du lac ; un jeune garçon poussait devant lui dans l’intérieur de l’île un troupeau dont j’entendais tinter les cloches ; des enfans barbotaient au soleil levant dans le petit port. Mon hôte, qui battait de l’avoine avec quelques hommes non loin de là, me souhaita bonjour et bonne heure (kalimera, kaliora) sans s’interrompre. Seul oisif au milieu de cette activité, je descendis jusqu’à la mer, où je me baignai comme avaient fait les enfans, comme c’est la coutume en Grèce, même à Phalère, et je me mis ensuite en chasse tout en visitant l’île. Son originalité tenait surtout à ses habitans ; je n’y découvris rien qui me frappa. Le versant méridional était desséché ; des aloès, quelques buissons trapus, des figuiers sauvages, s’étalaient sur les pierres ; l’autre au contraire était relativement fertile, quelques parties en étaient cultivées, mais la récolte était déjà faite. Je rentrai sans avoir rien tué, cherchant à découvrir quelle révolution lointaine, quel mélange de sang ou quelle immigration avait pu placer sous le même ciel, habitant voisins les uns des autres la même terre aride, des hommes qui n’avaient entre eux d’autre lien que le langage et qui se sentaient si peu fait pour vivre en commun, qu’à trois lieues de distance ils ne se connaissaient guère que de nom.

Le reste de la journée passa comme la veille, et je vis bien qu’au milieu de ces gens simples et facilement heureux les jours se succéderaient tous semblables et sans accident nouveau. Nous avions beaucoup parlé de la Roumélie, cette côte si voisine que je pouvais atteindre à la nage, et que j’avais entrepris de visiter. Un