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avoir oubliées et que la nature s’est plu à combler, comme par hasard, de bien-être et de félicité dans le plus malheureux des pays !

Je descendis, et, côtoyant le lac, je m’approchai des maisons : les femmes, les enfans, qui m’avaient vu venir, attendaient curieusement sans rien dire ; les hommes s’arrêtaient surpris, mais retrouvant bientôt leur calme insoucieux, reprenaient leur travail. J’abordai l’un d’eux, jeune encore, à qui j’adressai la parole. « Je suis étranger, lui dis-je ; je viens pour voir ton pays, veux-tu me donner l’hospitalité pendant trois jours ? » Il me regardait étonné, un instant, je craignis que, dans cette île, on ne parlât même pas le grec ; mais, comme je lui renouvelais ma demande : — Sans doute, interrompit-il, je le veux bien, et je t’accueillerai comme mon frère ; mais, tu le vois, ma maison est petite, tu seras mal ici. — Et il me montrait de la main le petit village. Je lui assurai que je m’y trouverais fort bien. — Reçois donc la bienvenue, continua- t-il en souriant, voici ma maison, viens avec moi.

Comme toutes les autres, c’était une cabane blanche et grise, très basse, et qui ne recevait le jour que par une étroite fenêtre percée à droite de la porte hermétiquement fermée ; seulement un petit enclos large de deux mètres à peine tournait autour du mur, et quatre figuiers ombrageaient l’entrée. Ce luxe modeste la distinguait des autres et me fit préjuger que j’étais reçu par le plus riche propriétaire de la colonie. Le soleil, s’élevant peu à peu derrière les montagnes grises de Roumélie, venait de les dépasser et dardait sur nous ses rayons ; nous étions au plus fort de la chaleur du jour, j’entrai dans la maison.

La chambre où je me trouvai était profonde et si sombre que je ne distinguai que graduellement tout ce qu’elle renfermait. Un parfum nouveau pour moi, presque indéfinissable, me saisit tout d’abord : c’était comme un mélange de ces odeurs champêtres qu’on respire en entrant dans la salle blanche et propre d’une ferme de France ; il me semblait qu’il y avait là du lait, de la crème, du foin sec et du pain bis ; en même temps, un air frais, froid en comparaison de la température extérieure, me pénétra de cette sensation délicieuse de bien-être qu’on ne peut apprécier que lorsque l’on a passé un été en Orient. Mon hôte referma la porte derrière nous pour ne pas laisser pénétrer la chaleur, et comme mes yeux s’habituaient déjà à l’obscurité qui régnait dans la salle, je vis sortir d’une seconde pièce, séparée de la première par une cloison à jour, une forme blanche qui vint à moi.

— C’est ma sœur, me dit le jeune homme ; elle va nous préparer à dîner.