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le perdre. En une année, les trois fermes annexées avaient absorbé toutes les ressources affectées à l’établissement, et tandis que l’école en trois ans ne coûtait que 479,000 francs, les fermes, dans le même temps, absorbaient au-delà de 1 million 1/2. La leçon n’a point été oubliée. On a reconnu d’ailleurs qu’un grand domaine n’était pas nécessaire à un haut enseignement. Ne perdons pas de vue qu’il s’agit ici de former, non des ouvriers, ni des praticiens, mais des agronomes, par « l’étude des sciences dans leurs rapports avec l’agriculture, » car tel est l’objet de l’institut, aux termes de la loi. C’est donc un enseignement très élevé, très général, théorique et scientifique avant tout : trop de pratique y pourrait nuire, en le faussant. — Personne, dit M. Tisserand, n’ambitionnera pour les élèves de l’institut l’habileté manuelle d’un apprenti des fermes-écoles ou d’un lauréat des concours de labourage. Quel est l’ingénieur qui l’emporte sur ses mécaniciens à forger ou sur ses mineurs à manier le pic ? Apprend-on au jeune architecte, dans l’école des beaux-arts, à se servir de la truelle comme le maçon, ou du rabot comme le menuisier ? — Il y a d’ailleurs un obstacle qui est à lui seul décisif : l’impossibilité de faire de l’exploitation autre chose qu’un ensemble de cultures locales, applicables à une région, non aux autres. Voici, par exemple, les fermes de Versailles : pourraient-elles offrir à l’élève venu du midi et destiné à s’y établir, des vignobles du Bordelais ou de l’Hérault, des plantations de mûriers et d’oliviers, des champs de maïs ? — M. Tisserand ajoutait : « Le professeur ne devra pas faire l’histoire d’un pré de telle ou telle région, mais celle du pré ; on ne devra pas y parler de telle ou telle irrigation, mais y faire la théorie complète de l’irrigation. On devra y enseigner les grandes lois de la production végétale et animale, et en discuter l’application aussi bien dans le Nord que dans le Midi, en France comme dans les autres parties de l’Europe et dans le Nouveau-Monde. Or, si l’attention des élèves et du professeur était constamment tournée vers les pratiques et l’administration d’un seul et même domaine, n’y aurait-il pas à craindre que l’instruction ne s’en ressentit, en faisant de la culture présentée journellement comme modèle l’idéal qu’il faudrait réaliser ? » Notons cette dernière considération, elle marque bien tout ce que l’enseignement de Grignon avait d’insuffisant, et, dans certains cas, de nuisible : en l’absence d’une école supérieure, c’est là qu’affluaient des élèves des plus divers pays ; il en venait même de l’Amérique du Sud, et que leur apprenait-on ? Les procédés en usage dans cette partie de la France, force recettes, excellentes pour les départemens de la région, beaucoup moins utiles et parfois périlleuses à appliquer sur une autre terre, sous un autre ciel, dans un milieu différent. Ce qui