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Une objection plus spécieuse était celle de M. Larrabure. Avons-nous tant besoin, disait-il, d’un enseignement supérieur ? La France est un pays de petite et moyenne culture ; la grande propriété y est rare ; la terre va se morcelant : ne sont-ce pas d’abord ces humbles cultivateurs, cette armée de petits fermiers, de petits propriétaires qu’il est urgent d’instruire ? Commençons l’œuvre par là ! — A quoi M. Boussingault répondait par cette parole, qui signale le réel objet et la raison d’être d’un haut enseignement agronomique : « Le progrès se propage de haut en bas, et cela jusqu’aux dernières limites, car la science ne remonte jamais. » La science ne remonte jamais : Voilà pourquoi l’agriculture est demeurée si longtemps stationnaire. Aujourd’hui il faut qu’elle subisse, elle aussi, sa révolution ; le train du monde le veut ainsi, elle est forcée de prendre les allures de l’industrie, de se faire plus prompte, plus active, plus intense, de multiplier et d’agrandir ses moyens de production ; par conséquent il faut qu’elle invente, qu’elle se transforme, qu’elle se renouvelle, qu’elle substitue à l’empirisme ignorant les méthodes savantes, à la routine les découvertes, aux vieilles pratiques lentes et faibles les nouveaux procédés rapides et puissans. Comment y parviendrait-elle sans la science ? Et cette science, qui l’entretiendra, l’enrichira, la répandra et l’aura éprouvée avant de la répandre, sinon les hommes de cet enseignement supérieur, les maîtres et les disciples qu’ils auront formés ? Ces hautes études, ces écoles dirigeantes, dépositaires du savoir qu’elles conservent et accroissent, ce foyer de lumières, les lettres l’ont, les beaux-arts l’ont, les travaux publics l’ont en plusieurs écoles, l’industrie l’a depuis longtemps, et l’agriculture, cette maîtresse-branche de la richesse nationale, qui exerce 20 millions de travailleurs et met en valeur 100 milliards du capital de la France, l’agriculture seule ne l’aurait pas !

On nous dit : Cet enseignement existe ; n’avez-vous pas au Conservatoire des arts et métiers les trois chaires de chimie agricole, d’agriculture et de génie rural ? N’avez-vous pas les cours du Museum d’histoire naturelle ? En 1869, au moment même où la commission supérieure discutait la question, M. Duruy, de son côté, entreprenait d’établir au Museum un enseignement scientifique de l’agriculture ; il publiait des programmes qui entraient dans les plus minutieux détails de la pratique rurale : les leçons ne devaient-elles pas s’étendre jusqu’à la chimie culinaire et à la coction des viandes et des légumes ? Et les adversaires de l’institut agronomique de s’écrier : Que souhaitez-vous de plus ? Voulez-vous faire un double emploi ? La vérité est que le Museum, comme le Conservatoire des arts et métiers, à moins de perdre son caractère traditionnel, ne