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continuation de cette politique dans l’avenir. » — Conséquence du passé, condition de l’avenir, cela résumait tout. Rien n’était plus facile sans doute que de se payer de mots, de disputer sur des détails. La vérité est qu’il fallait choisir entre un système d’isolement stérile, probablement impossible, ou de moyens révolutionnaires périlleux, — et la politique des alliances qui depuis dix ans avait conduit de Novare à la guerre de Crimée, du congrès de Paris à la guerre d’Italie, au nouveau royaume dont le parlement restait l’image vivante. Le choix ne pouvait vraiment être douteux. Dans cette voie qu’on avait suivie jusque-là, qui avait conduit au succès, il fallait marcher sans se détourner, ni même s’arrêter, et la condition des alliances une fois admise, où trouver l’allié utile, efficace, si ce n’est en France ? Cavour ne se faisait aucune illusion. Il connaissait l’état de la France, il démêlait et il décrivait avec une sagacité profonde le jeu des partis, les troubles, les hésitations ou les hostilités de l’opinion à l’égard de l’Italie ; il sentait aussi que l’empereur, tout sympathique qu’il fût, tout omnipotent qu’il parût être, avait lui-même à compter avec des difficultés intérieures. Il tenait, avec une prévoyance intéressée, je le veux bien, et à coup sûr habile, non-seulement à lier jusqu’à un certain point le souverain de la France, mais à désintéresser la masse de l’opinion du pays, à maintenir le lien de sympathie entre la nation française et la nation italienne. Les amis les plus dévoués qu’il avait à Paris, qui étaient à demi Italiens, le lui avaient écrit au moment décisif : « Pour l’amour de Dieu, pour l’amour de l’Italie, signez, signez, si vous voulez l’alliance française ;… car si vous hésitez, votre pays ne trouvera plus de sympathie en France… » De là ce traité qui, par son caractère moral, dominait et dépassait les commentaires acrimonieux ou vulgaires dont on l’accompagnait.

Voilà l’impression sous laquelle il avait signé, et qu’il s’efforçait maintenant de communiquer au premier parlement italien, avec une véhémence croissante de raison et d’émotion. « Je le dis avec une conviction profonde, la cession de la Savoie et de Nice était indispensable pour maintenir les masses françaises dans de bons sentimens envers l’Italie. A tort ou à raison, je ne veux pas le discuter, elles croient que ces provinces appartiennent naturellement à la France. C’est peut-être une erreur, mais quiconque connaît bien la France doit convenir de bonne foi que c’est une idée arrêtée. Dès lors, cette cession nous ayant été demandée, si nous eussions répondu par un refus, l’opinion française n’aurait pas tenu compte des difficultés qu’un tel projet pouvait rencontrer de la part de l’Italie. On nous aurait accusés d’ingratitude et d’injustice, on nous aurait dit que nous ne voulions pas appliquer d’un côté des Alpes les principes que nous invoquions de l’autre côté, pour lesquels la France