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se réunir au Piémont s’ils le voulaient. Elle se faisait en vérité la gardienne du principe de non-intervention, et la patronne des ambitions ou des espérances les plus étendues des Italiens. Pas plus que les tories, les whigs n’entendaient assurément engager l’Angleterre par la promesse d’un secours armé ; ils promettaient du moins « tout l’appui moral possible, » c’était le mot de lord Palmerston, et de Londres le représentant de la Sardaigne, le marquis Emmanuel d’Azeglio, pouvait écrire à Turin : a Les ministres anglais ont toujours soin d’ajouter, en parlant de l’annexion, qu’elle serait considérée par l’Angleterre comme l’arrangement préférable. L’Angleterre reconnaît à l’annexion le double avantage de nous rendre plus indépendans et de respecter les vœux des populations. » Les ministres de la reine semblaient vouloir regagner le temps perdu en se montrant plus Italiens que les Français qui venaient de combattre pour l’Italie, en flattant, en aiguillonnant la passion nationale au-delà des Alpes. Pourvu qu’on s’abstînt d’attaquer l’Autriche dans la Vénétie, on pouvait se permettre tout le reste à Florence comme dans les états du pape !

Le mobile à peine déguisé de cette politique d’excitation était une défiance croissante à l’égard de l’empereur, la crainte de voir la France remplacer l’Autriche en Italie, soit par une influence directement exercée, soit par quelque royaume à demi feudataire sous un Napoléon, et les ministres anglais croyaient neutraliser l’ascendant français en stimulant les annexions. Lord John Russell, comme chef du foreign-office, se livrait à cette propagande avec une candeur impétueuse qu’il a toujours elle, qui a plus d’une fois effrayé et embarrassé ses compagnons de pouvoir. Il ne s’apercevait pas qu’il s’exposait à plus d’une contradiction, qu’après avoir enflammé les Italiens il serait mal venu à vouloir les détourner de la guerre pour Venise, et qu’en favorisant l’extension du Piémont, il allait au-devant d’une éventualité qu’il redoutait, — cette cession de la Savoie à laquelle l’empereur avait renoncé à Villafranca, mais que la création d’un puissant royaume de l’Italie du nord devait faire revivre. Les Italiens ne pouvaient s’y méprendre, et s’ils étaient assez habiles pour se servir de l’appui de l’Angleterre, ils n’ignoraient pas que la question était pour eux moins à Londres qu’à Paris, dans le pays qui avait encore son armée campée en pleine Lombardie.

Ce que voulait réellement, ce que ferait la France, c’était là le point essentiel. Lord Palmerston prétendait qu’il y avait deux politiques à Paris, il n’avait pas eu de peine à pénétrer ce mystère. Depuis le premier jour, ces deux politiques existaient, se confondant ou se contrariant tour à tour : l’une avait triomphé par la guerre, par les proclamations excitatrices de Milan, l’autre avait triomphé