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Il invoquait l’intérêt de la France près d’être compromis par l’extension d’une lutte qui, d’un instant à l’autre, pouvait être engagée sur le Rhin et sur l’Adige. « Dès que les destinées de mon pays ont pu être en péril, j’ai fait la paix, » disait-il, et en expliquant pourquoi il s’était arrêté, il se plaisait à montrer les fruits de la victoire : l’influence des armes françaises attestée une fois de plus, le Piémont agrandi d’une opulente province, la nationalité italienne reconnue et organisée par une fédération, les princes maintenus ou restaurés, « comprenant enfin le besoin impérieux de réformes salutaires. » Ce n’était là par malheur qu’une vaine représentation de cour déguisant à peine la vérité des choses. Cette paix improvisée ou bâclée dans un petit village du Mincio, entre deux empereurs également émus des horreurs du champ de bataille, cette paix n’avait rien réglé ; elle mettait fin à la guerre sans doute, elle ne résolvait pas les problèmes déchaînés par la guerre. Elle laissait, à côté de la France et de l’Autriche réconciliées, le Piémont déçu et embarrassé de son rôle, les duchés du centre à demi émancipés et livrés à eux-mêmes, le sentiment national italien irrité et trompé, l’Europe étonnée et soupçonneuse devant l’énigme des entrevues impériales du Mincio.

Je veux préciser cette situation au lendemain du grand conflit interrompu. La France s’est crue intéressée à ne pas pousser plus loin la guerre ; l’Autriche, à son tour, s’est crue intéressée à payer d’une province une paix qui lui laisse la Vénétie avec l’espoir de la restauration de ses princes à Florence comme à Modène. Entre l’Autriche et la France déposant les armes, ce que Villafranca a ébauché, les négociations de Zurich vont l’achever. Les questions italiennes proprement dites, réorganisation, fédération, réformes, sont réservées à un congrès européen. Tout semble décidé ou prévu ; c’est au contraire plus que jamais le commencement de l’imprévu, les solutions ne sont qu’apparentes, et à côté de la politique de Villafranca, de Zurich, du congrès, de la diplomatie officielle, s’ouvre tout à coup une autre phase originale et saisissante, ce que j’appellerai la phase des Italiens eux-mêmes prenant la direction de leurs destinées, déjouant tous les calculs, se chargeant d’interpréter cette paix par laquelle on a cru enchaîner leurs espérances. Cavour disait : « La voie est coupée, nous en suivrons une autre. » Napoléon III, avant de quitter le Mincio, avait dit de son côté au roi Victor-Emmanuel cette parole étrange : « Nous allons voir maintenant ce que les Italiens sauront faire tout seuls. » C’est le secret de cette période qui commence au 11 juillet 1859, de cet autre drame diplomatique, national, qui s’engage aussitôt dans des conditions nouvelles et avec de nouveaux personnages, qui va se