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soucis, était en Norvège, et le pays entier se levait sur ses pas. Obligé de fuir devant ses paysans, Hakon se vit abandonné, jour par jour, par tous ses soldats et ses hommes d’escorte, et enfin il se trouva seul avec un unique esclave. Cerné de tous côtés par la haine universelle, sans partisans et sans amis, il eut l’idée d’aller demander asile à une de ses anciennes maîtresses du nom de Thora, et après avoir enfoncé son cheval sous la glace d’une rivière et laissé sur les bords son épée et son manteau pour faire croire à une mort accidentelle, il s’achemina vers la demeure de cette femme. L’ancienne maîtresse se montra charitable ; mais, objectant que sa maison serait fouillée, elle fit cacher Hakon et son esclave dans une cave pratiquée sous une étable à cochons qui était déjà creusée sous terre. Dans cette fosse à deux étages, dont il occupait le plus profond, retraite en parfait rapport avec les honteuses passions qui l’avaient conduit à cette extrémité, le jarl passa deux jours et deux nuits au milieu d’affreuses tortures, n’osant se laisser aller au sommeil par défiance de son esclave, dont il craignait d’être abandonné ou assassiné, défiance qui fut justifiée. De leur sale cachette, les deux hommes apprirent l’arrivée d’Olaf dans ces parages, et peu de temps après ils purent l’entendre haranguant les révoltés du haut d’une énorme pierre et promettant honneur et récompense à qui lui apporterait la tête d’Hakon. Alors profitant d’un moment où le jarl, vaincu par la nature, s’était endormi, l’esclave le poignarda, puis il lui coupa la tête et la porta à Olaf en réclamant la récompense promise. « Tu étais donc son esclave ou son serviteur, puisque tu étais avec lui dans cette étable ? » dit Olaf. Sur la réponse affirmative de l’esclave, le prince lui fit compter 100 marcs d’argent. « Voici la récompense que je te devais ; mais maintenant je te dois autre chose, la punition qui est due à un esclave traître et meurtrier de son maître. » Et après ces paroles il le fit décapiter.

Olaf, fils de Tryggvi, fut une belle âme servie par des organes robustes, condition toujours heureuse pour les belles âmes, mais plus particulièrement chez un peuple qui accordait une si grande estime à la force physique. C’était, nous l’avons dit déjà, l’homme le plus renommé du Nord pour les exercices du corps, et à ces qualités d’adresse et d’agilité il joignait les qualités morales les mieux faites pour plaire aux gens de Norvège : loyauté et véracité dans ses actes, jovialité et franc-parler populaires dans ses discours. Cette même heureuse harmonie entre l’âme et le corps distingue pareillement le second Olaf, qui, avant de porter le nom de saint, porta celui de Vigoureux, tant il était solidement bâti, et l’on doit remarquer à cet égard qu’il n’a pas été inutile à la fortune du