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nous sommes pacifiés de tous nos cœurs, et puissent les dieux être pacifiés à notre égard à nous tous ! »


La victoire de Hakon-Jarl à Hjoring porta pour un moment un coup terrible à la compagnie des vikings de Jomsburg. Près des deux tiers périrent dans cette expédition, mais de pareilles associations ont la vie dure, et il fallut au temps encore près d’un siècle pour avoir raison de celle-là. Elle se reforma, toujours sous le commandement de Sigvald, dont nous allons voir dans les pages suivantes le dernier exploit de ruse et de perfidie. Dans les années qui suivirent, ils prirent part comme troupes mercenaires aux campagnes du roi Sweyn en Angleterre ; une partie périt encore dans le massacre fameux de la Saint-Brice, où la population saxonne fit une si horrible boucherie de ses envahisseurs danois ; mais M. Dasent les voit campés en Angleterre jusque sous le règne du fils de Knut. On peut même dire qu’ils survécurent à toute la piraterie du Nord, car ils ne furent définitivement détruits que par Magnus le Bon, le fils de saint Olaf, nombre d’années après que son père eut frappé d’interdit et fait disparaître dans le Nord ce métier de viking qu’il avait pratiqué pourtant lui-même dans sa jeunesse, lorsqu’il était pauvre et proscrit. Carlyle soupçonne sur certains indices, et particulièrement sur le rapprochement des dates, que les Danois qui reçurent une si sanglante défaite en Écosse, à Loncarty, sous le roi Kenneth III, furent peut-être ces pirates reconstitués de Jomsburg. Si ce sont eux, ils ont été les collaborateurs involontaires de Shakspeare, car il se rencontre dans cette bataille un épisode dont le grand poète s’est emparé pour en faire une partie du dénoûment de son adorable drame de Cymbeline. Voici cet épisode tel que nous l’avons naguère lu dans Hollinshed. La victoire s’était d’abord déclarée pour les Danois, et les Écossais s’enfuyaient par un étroit sentier où ils étaient égorgés par leurs ennemis comme du gibier pris au piège, lorsqu’un paysan nommé Hay, qui travaillait dans un champ voisin avec ses deux fils, s’étant arrêté pour reprendre haleine, aperçut la déroute de ses compatriotes. Ce paysan qui travaille à proximité d’un champ de bataille et pendant la lutte même, sans se détourner de sa besogne, paraîtra peut-être un personnage fabuleux ; mais il faut songer que les jours de l’artillerie n’étaient pas venus, que la bataille se concentrait sur un terrain très étroit, que ces combats à la hache et à la lance ne pouvaient avoir de résultats meurtriers que sur ce terrain même, et qu’enfin la vie sociale était infiniment moins troublée par la guerre qu’elle ne l’est de nos jours : le très érudit Macaulay ne nous a-t-il pas représenté les paysans anglais allant à leurs travaux et poussant leurs chariots