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Hakon, qui avait payé de la vie de son fils l’appui des pouvoirs invisibles. Alors les soldats envoyèrent une députation auprès de Sigvald pour lui déclarer qu’ils s’étaient engagés à combattre des hommes, mais non des démons, et qu’ils refusaient de continuer la lutte. Après avoir essayé vainement des remontrances, Sigvald qui jugeait déjà la partie perdue, saisit habilement le prétexte que lui fournissait ce refus de combattre plus longtemps, fit sonner la retraite et prit le chemin de la passe conduisant à la seconde baie, au milieu des railleries et des injures d’une partie des chefs vikings, irrités de cet acte de prudence comme d’une désertion, et qui déclarèrent, en Scandinaves de la vieille école, qu’ils combattraient jusqu’à la mort. Parmi ces chefs qui écoutèrent plus la bravoure que la prudence se trouvait Bui. Il combattit longtemps en désespéré ; criblé de blessures, il en reçut enfin une dernière qui le défigurait horriblement : « Ah ! s’écria-t-il en recevant le coup, les filles de Fünen ne voudront plus nous embrasser ! » Puis, plaçant sous ses bras les deux fameuses caisses remplies d’or qui ne le quittaient jamais, il se précipita dans les flots. Toute cette partie très développée du récit de M. Dasent constitue une scène des plus émouvantes, qui à l’intérêt dramatique en unit un autre plus précieux, celui de la vérité, car l’auteur n’a fait qu’y mettre en œuvre les détails que lui fournissait soit l’histoire, soit la légende.

La déroute des vikings fut complète ; tous les navires qui n’avaient pu ou voulu suivre Sigvald dans sa retraite furent détruits et leurs équipages massacrés. Un petit nombre de survivans furent faits prisonniers et moururent sous la hache d’Hakon avec ce stoïcisme martial propre aux anciens Scandinaves, qui a rencontré si souvent tant d’expressions d’une poésie mâle comme leurs âmes, sérieuse et triste comme la nature, scène de leurs existences. Tout cruel qu’il était, Hakon ne fut pas cependant absolument inexorable, et, à la prière de son fils Éric qui semblait deviner que ces vikings de Jomsburg étaient destinés à lui rendre un jour quelque sombre service, il consentit à faire grâce à quelques-uns et à les recevoir dans sa paix, ce qui impliquait l’octroi d’une pleine sécurité pour les vaincus et l’abandon par eux de tout projet de vengeance contre le vainqueur. M. Dasent nous a donné la très longue formule de cette paix royale. Le document est curieux et mérite d’être cité, ne fût-ce que pour son style poétique, fort différent du style officiel moderne, il en faut convenir, mais qui a l’avantage incontestable d’être moins monotone et moins sec, et de nous laisser apercevoir à travers ses phrases quelque chose des mœurs des hommes du Nord et même des paysages de la nature ambiante. Voici, avec toute sa prolixité poétique et sa solennité sacerdotale,