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un ressort meurtrier au premier mot de reproche ou de menace, à la fois taciturne et violent, toujours plongé dans un mutisme morose et toujours prêt à faire explosion, un véritable fils de la terre d’Islande, à la fois brûlante et glacée. De ce genre est un certain Rapp, que l’auteur nous présente proscrit d’Islande pour ses crimes et réfugié dans la demeure d’un ami de Hakon-Jarl de Norvège, Gudbrand de la Vallée, dont il paie l’hospitalité en souillant de sang son foyer, luxurieux, homicide, incendiaire, sacrilège, et tout cela presque innocemment, car qui pourrait s’étonner qu’un ours blanc du pôle n’eût pas reconnaissance de l’asile prêté, et qu’un loup rendu anthropophage par la bonne chère des champs de carnage eût envie de faire pâture de ses hôtes ? Le Han d’Islande de Victor Hugo, qui, comme on le voit, n’était pas si loin de la vérité historique que l’ont cru nombre de beaux esprits railleurs et de zélés défenseurs du bon goût, pâlit presque devant ce personnage hideusement bestial. D’autres nous sont représentés comme ayant des habitudes de guerriers des lointaines époques préhistoriques, — et en effet l’âge historique ne venait-il pas à peine de commencer pour eux ? De cette dernière variété est un certain Thorleif, que nous voyons marcher à la grande bataille navale entre Hakon-Jarl et les vikings de Jomsburg, ayant pour toute arme une massue faite d’un jeune pin déraciné dans la forêt voisine du rivage. Le second type d’Islandais, beaucoup plus sympathique, est aussi plus singulier : il représente, à l’aurore de la civilisation scandinave et à la tout à fait première aube de la civilisation islandaise, ce que l’esprit littéraire a de plus compliqué en bien et en mal. Doués de plus de curiosité que de sens moral, grands écouteurs et grands conteurs d’histoires, les Islandais savaient représenter avec une grandeur presque épique les exploits des héros, mais ils savaient à l’occasion faire disparaître cette solennité pour donner essor à un esprit narquois, railleur, porté à la satire et ami de la médisance. De ces deux esprits, c’était peut-être le dernier qui leur était le plus naturel, et ils en usaient sans aucun scrupule, au gré de leur cupidité et de leurs rancunes. Chose étrange, dans, cette époque encore entièrement héroïque, les skaldes de race islandaise nous sont représentés comme entachés de cette vénalité et de cette versatilité par amour du lucre, dont les ennemis des gens de lettres se sont si souvent complu à les accuser. À ce vice capital, ils ajoutent toutes les vanités et toutes les manies si bien peintes par Lesage, et réalisent à la lettre le type qu’un critique célèbre appelait ingénieusement l’animal poète. Dès qu’un skalde est froissé, dès qu’on a refusé d’écouter un de ses chants, dès qu’il est froidement applaudi ou que la récompense est faible, il passe sur-le-champ même à l’ennemi. C’est l’histoire d’Einar, le skalde de Hakon-Jarl, qui, furieux que le maître de la Norvège ne veuille pas perdre son