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l’empereur de Byzance, fit chanter par ses joueurs de harpe les plus douces mélodies nationales, et, divertissement mieux assorti à leurs mœurs, leur donna dans ses forêts une chasse où plusieurs d’entre eux se distinguèrent contre les sangliers et les ours. Le résultat de cette brillante réception fut qu’après un court échange de paroles mielleuses et perfides du côté de Burislaf, hautaines et brutales du côté de Sigvald, le roi consentit à la demande du chef viking, et que ce dernier accéda aux conditions difficiles suggérées par Astrida.

De toutes les erreurs du jugement humain, il n’en est pas de plus lourde que celle qui s’est plu à attribuer à la barbarie la bonne foi, la naïveté et la franchise ; on n’a qu’à parcourir les annales des divers peuples européens pour se convaincre au contraire que, depuis l’invasion jusqu’à la fin du XIIe siècle, la fraude et la fourberie sous leurs formes les plus variées ont régné universellement et sans rencontrer dans l’opinion des peuples d’alors la plus petite réprobation. Sigvald ne songea pas un instant à enlever le roi Sweyn à main armée ; pour cela, il aurait fallu engager un combat régulier dont la chance pouvait lui être fatale ; il s’arrêta donc à l’embuscade et au guet-apens comme aux moyens les plus sûrs de réussir sans péril. Il sortit de Jomsburg avec quelques navires et se dirigea sur un point de la côte de la Baltique où il savait que Sweyn faisait séjour momentanément dans une de ses maisons de campagne. A l’arrivée, son frère Thorkell, que sa haute taille avait fait surnommer le Gigantesque, sobriquet fréquent chez ces guerriers du Nord, rivaux des chênes et des sapins de leurs forêts, descendit seul à terre, et se rendant auprès de Sweyn, le pria de venir en toute hâte vers Sigvald, qui se mourait à bord de son navire, et qui, avant de partir pour le Valhalla, voulait communiquer au roi des choses importantes pour son gouvernement. Sweyn hésita quelque peu, mais Thorkell était pressant. Sigvald, disait-il, était dans un tel état de faiblesse qu’on ne pouvait le descendre à terre ; il n’y avait pas une heure à perdre, car il pouvait expirer d’un instant à l’autre, et le roi, qui se trouvait d’ailleurs en ce moment sous l’influence des libations du soir, partit avec cinquante hommes. Arrivés sur le rivage, le roi et son escorte trouvèrent les navires disposés de telle sorte qu’il fallait en traverser plusieurs avant d’atteindre celui de Sigvald, et à chaque fois qu’ils en abordaient un, Thorkell retenait dix hommes et faisait couper le câble qui attachait ce navire au reste de la flottille, si bien que, lorsque le roi atteignit le vaisseau de Sigvald, il était à peu près seul et sans secours efficace, ni moyen de lutte possible. « Veuillez vous courber sur mon lit, seigneur, car ma voix est si faible que vous auriez peine à m’entendre, » dit Sigvald. Le roi, sans défiance, accéda à la prière du capitaine, et celui-ci, se redressant aussitôt, saisit sa dupe de ses