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louvoyer, d’amuser Sigvald d’espérances sans lui faire aucune promesse positive ; mais les événemens ne lui en laissèrent pas le temps. Au moment où on lui signalait l’approche des vikings, arrivèrent à sa grange deux cavaliers porteurs d’un message du roi Sweyn de Danemark, qui signifiait à Burislaf que, si le tribut imposé aux Wends par son père Harold à la dent bleue n’était pas enfin payé, il devait s’attendre à la guerre. À cette nouvelle, le pauvre Burislaf sentit s’abattre ce qui lui restait de courage ; mais sa fille Astrida comprit à l’instant tout le parti qu’on pouvait tirer de cette mauvaise nouvelle, et là où son père voyait la ruine, elle sut démêler le salut. « Que Sigvald obtienne, dit-elle au roi, la promesse de ma main à ces deux conditions : la première, qu’il affranchira vos états de tout tribut exigé par l’étranger, et la seconde, qu’il livrera dans un délai fixé le roi Sweyn en notre pouvoir. S’il est assez hardi pour tenter cette entreprise, il peut succomber avec sa bande, et vous voilà délivré de la crainte de ces vikings ; s’il réussit, il vous délivre du roi Sweyn et du tribut, et s’il refuse ou qu’il échoue sans succomber, vous serez à tout le moins délié de toute promesse. » Burislaf salua donc comme des libérateurs ces vikings qui la veille lui semblaient des hôtes fort mal venus, pour d’autres raisons encore que des raisons politiques, car à ses embarras de gouvernement ce roi joignait des difficultés financières, et il calculait avec terreur que cette visite de Sigvald et de ses cinquante hommes d’armes allait mettre ses caves à sec, ses greniers à vide et ses étables à sac, et qu’il lui faudrait jeûner et s’abstenir de s’enivrer au moins pendant six mois pour réparer la brèche que leur séjour allait faire à ses revenus.

Cette cour rustique, établie en pleine campagne, à la fois fastueuse et besoigneuse, et se sentant plus de la prodigue magnificence polonaise ou russe que de l’âpre économie germanique, a été peinte avec bonheur dans sa douceur patriarcale et son éclat menteur par M. Basent, qui n’a pas moins bien réussi à mettre en contraste, dans l’analyse des caractères, l’astuce et la finesse slaves avec la vaillance et la brutalité Scandinaves. Burislaf reçut ses convives avec tout le luxe que lui permettaient ses ressources, couronne d’or en tête et manteau royal aux épaules, escorté de pages et de porteurs de flambeaux de cire, en riches et gais costumes, et les vikings, qui s’étaient déjà étonnés à leur arrivée de recevoir un essuie-mains par homme, purent s’extasier à leur aise sur le brillant éclairage inconnu aux régions du Nord, où l’on ne brûlait que du suif et des bois résineux, et sur les magnificences de vêtemens qu’il faisait ressortir, surtout à l’estrade où siégeaient les princesses, en chemises de soie et en habits de brocard rehaussés de fourrures. Pour les amuser, le roi fit combattre ses deux nègres, cadeau de