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compatriotes il n’y avait pas de reconnaissance qui pût l’emporter sur le devoir imposé par la querelle du sang ; mais Sweyn comprit d’où le coup était parti, et, arrachant du corps de son père la flèche qui l’avait percé, il la mit en réserve pour la présenter au meurtrier au jour où s’accomplirait la vengeance ordonnée également par la tradition et par la nature. C’était une coutume en vigueur dans tous les pays Scandinaves, depuis les rois et les plus puissans jarls jusqu’aux plus humbles paysans, de célébrer l’entrée en héritage par une fête en l’honneur du défunt ; cela s’appelait boire la bière des funérailles, et nul fils n’y manquait jamais, en quelque mésintelligence qu’il eût vécu avec son père. Lorsque Sweyn annonça son intention de tenir la bière des funérailles d’Harold, Palnatoki pria le roi d’excuser son absence, sous prétexte que des affaires importantes le retenaient dans le pays de Galles, et le roi à sa considération consentit à ajourner le festin. Trois ou quatre fois l’invitation fut réitérée, et autant de fois le pirate usa d’excuses pour n’y pas répondre ; enfin, au bout de trois ans, l’invitation se changea en sommation, et Palnatoki, sentant qu’il fallait obéir, se rendit au festin royal, mais en emmenant avec lui cent hommes bien armés et trois bons navires, dont au débarquer il fit tourner les proues du côté de la mer, avec ordre aux marins de se tenir les rames en mains prêts à partir au premier signal. Lorsque le festin fut terminé et que les toasts commencèrent, le roi remit à l’un de ses serviteurs une flèche dont la barbe était enroulée dans un fil d’or, avec ordre de la passer à la ronde en demandant à chaque guerrier s’il la reconnaissait pour sienne. « Donne-moi cette flèche, car elle m’appartient, » dit hardiment Palnatoki lorsque le serviteur s’arrêta devant lui. « Palnatoki, dit le roi, quand donc t’es-tu séparé de cette flèche ? — La nuit même où je tuai votre père, le roi Harold, » répondit le pirate. Sur ce mot, le roi ayant donné l’ordre de mettre à mort le vieux chef et ses hommes, un combat s’engagea dans la salle de festin, tout semblable à celui du festin de Kriemhild dans la salle d’Attila, et Palnatoki, se frayant un passage à force de tuer, courut à ses vaisseaux. Il sortit du Danemark, s’enfuit sur la côte du pays des Wends, et il en résulta la forteresse de Jomsburg, qui depuis lors fut pour le roi Sweyn un sujet de perpétuelles inquiétudes et comme une sorte de remords. En manquant sa vengeance, il était devenu l’auteur involontaire de la prospérité de ces vikings, composés en grande partie de ses propres sujets, et qui maintenant, vassaux des rois wends, pouvaient prêter dans une heure dangereuse leurs services à ses ennemis. Il cherchait donc un moyen de se débarrasser des pirates de Jomsburg sans en trouver d’efficace, et de leur côté les vikings, qui connaissaient les sentimens du roi à leur égard, et qui avaient, depuis cette bière des