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Il est à peu près inutile de dire que les vikings excellaient dans tous les exercices du corps, mais un fait plus particulier et moins remarqué, c’est qu’ils semblent avoir eu un goût prononcé pour les tours de force des acrobates et les tours d’adresse des jongleurs. Les lecteurs d’Augustin Thierry se rappelleront certainement les rois de mer lançant leur pique au sommet du grand mât et l’attrapant au vol pour la lancer de nouveau. Un viking de race royale et destiné à devenir roi de Norvège, Olaf, fils de Tryggvi, était particulièrement fameux à cette fin du Xe siècle par ses exploits d’adresse. Il savait jongler avec cinq poignards qu’il rattrapait par le manche, lançait son javelot de l’une ou de l’autre main indifféremment, et même en lançait deux à la fois avec autant de sûreté et de précision que s’il n’en eût lancé qu’un seul. Il faisait mieux encore, car il paraît qu’il pouvait courir sur la pointe des rames pendant qu’elles étaient en mouvement, tour d’adresse difficile à comprendre et qui certainement aujourd’hui enrichirait son homme.

Des trois grandes solennités de la vie humaine, les vikings, ne se mariant pas, n’en connaissaient qu’une, celles des funérailles, qu’ils célébraient encore selon les rites héroïques de la religion d’Odin. Lorsqu’après un combat ils étaient maîtres du champ de bataille et que leurs morts restaient en leur possession, ils lavaient leurs blessures, peignaient leurs cheveux et les revêtaient de leurs plus beaux habits, à l’exception des pieds, qu’ils laissaient nus pour un instant ; puis, cette toilette achevée, ils déposaient le corps de chaque guerrier sur son bouclier et plaçaient ses armes à ses côtés. Les morts étaient alors en bonne tenue pour paraître convenablement devant la valeureuse compagnie de la salle d’Odin. Il ne restait plus qu’à les munir de chaussures pour le voyage suprême, lequel était long et fatigant, car il fallait se rendre d’abord à la demeure de l’infernale Hela, située à une profondeur de neuf mondes ; la déesse y retenait les lâches et les esclaves et laissait les vaillans prendre la route du Valhalla. On apportait donc les chaussures des morts, que pour cette circonstance on appelait souliers d’enfer ; le soin de les attacher appartenait aux plus proches parens du mort, à défaut de parens, à son frère d’armes : fraternité qui, dans une telle association, était considérée comme plus étroite que les liens du sang. Ces cérémonies accomplies, les vikings enlevaient les morts sur les boucliers et les transportaient au lieu de leur sépulture. Si le terrain environnant présentait quelque tumulus naturel, un tertre suffisamment élevé ou un monticule, on en décapitait le sommet de manière à obtenir une surface plane, on déposait les morts sur cette surface, on creusait tout autour un fossé profond et on entassait la terre jusqu’à ce que la forme