Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obstiné dans un individualisme barbare, en substituant les grandes entreprises collectives aux petites entreprises privées. Ce fut là particulièrement le cas du Danemark. Quel intérêt pouvaient avoir désormais des expéditions qui avaient pour résultat la conquête d’un îlot à moitié désert ou le pillage d’un coin de terre, lorsque la royauté proposait pour but aux ambitions inquiètes la conquête de l’Angleterre entière ?

Alors s’opéra une grande et définitive transformation. La piraterie, exclue de l’état, officiellement désavouée en quelque sorte et n’ayant plus d’existence sociale légitime, se chercha une nouvelle forme qui lui permît de vivre encore, et la trouva dans la force de l’association. Des sociétés se formèrent, où affluèrent les aventuriers non-seulement de la Scandinavie, mais de toutes les nations voisines, et dont les membres étaient unis entre eux par des engagemens qui équivalaient à des vœux. De ces sociétés, la plus considérable fut celle des vikings de Jom, localité aujourd’hui inconnue, où ils avaient bâti une forteresse, mais que l’on doit chercher sur la côte de la Baltique non loin de l’embouchure de l’Oder. Sous cette dernière incarnation, la piraterie fut pendant un temps plus formidable que jamais, car elle devint permanente d’intermittente qu’elle était, et elle présenta des forces comme bien peu de nations auraient pu en montrer dans cette époque d’anarchie et de pouvoirs divisés. Les vikings de Jomsburg formaient un corps de 10,000 hommes, pirates et soldats de profession, unis entre eux par les engagemens les plus stricts, possesseurs d’une forteresse qu’ils tenaient pour la forme seulement sous la suzeraineté du roi des Wends, et d’une flotte de 150 vaisseaux, commandés par des chefs, fils de jarls, qui apportaient au service de la compagnie toute la puissance sociale que leur donnaient leur naissance et leur parenté. Ces pirates étaient tous des hommes de choix, car on n’entrait dans leur compagnie qu’aux conditions les plus sévères. Nul ne pouvait y être admis avant dix-huit ans et après trente ans. Chaque homme prêtait à son admission le serment de venger tout membre de la bande comme son propre frère. Tout guerrier qui cédait à un autre à égalité d’armes, tout homme qui parlait légèrement de la bande, ou qui colportait quelque nouvelle avant l’autorisation du capitaine, tout soldat qui retenait indûment pour lui une part de butin, qui dans une difficulté quelconque laissait échapper un mot de crainte ou une plainte, était exclu sur-le-champ. Enfin l’obligation du célibat était formelle ; nulle femme ne pouvait pénétrer dans l’intérieur de la forteresse, et il était interdit de s’absenter plus de trois nuits de suite sans la permission du capitaine. N’en déplaise à M. Dasent, c’est un tout autre nom que celui de condottieri de la mer que méritaient ces pirates, car comment