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ce mouvement. On a tenté de vaincre cette apathie, on y a échoué jusqu’à présent, et l’on a constaté, comme le disait un peu brutalement l’auteur d’une de ces tentatives malheureuses, « qu’on ne peut faire boire un Asiatique qui n’a pas soif. » Quant aux autres agens du travail, il n’est pas besoin de dire que les machines n’existent pas et que l’ouvrier n’a pas de quoi en acheter ; le seul auxiliaire de l’homme, c’est le cheval, qui sert parfois au labour, mais principalement au transport. Il est, comme son maître, patient, sobre, docile, mais sans énergie et incapable d’une besogne trop rude.

Voici donc une nation de plus de 20 millions d’hommes qui, depuis des siècles, cultive le pays et depuis 300 ans jouit d’une paix profonde. Qu’a-t-elle fait ? Quel legs les générations passées ont-elles transmis aux générations présentes ? On cherche à la surface du sol ces gigantesques travaux qui témoignent de la grandeur des peuples et qui marquent le passage des Égyptiens, des Grecs, des Romains, ces aqueducs, ces chaussées, ces canaux, ces ports, dont le flot de l’invasion a été impuissant à supprimer les débris. Que trouve-t-on ? Rien, ou presque rien ; quelques rivières canalisées, quelques chemins plutôt, tracés que faits, des temples de bois et ces siro ou châteaux-forts derrière les remparts desquels s’abritait l’indépendance des daïmios. Mais de travaux réellement profitables à l’industrie, à la prospérité générale, aucun, moins qu’en Espagne, moins qu’en Chine. Les ancêtres n’ont pas fait assez d’économies pour les placer dans des œuvres, ou s’ils en ont fait, elles ont été absorbées par cette classe inutile et dévorante des hattamoto, qui pèse encore aujourd’hui de tout son poids sur le peuple laborieux.

Si on jette les yeux sur le présent, on voit, il est vrai, s’élever de ci de là quelques hautes cheminées de brique, quelques usines, quelques becs de gaz, quelques tuyaux de locomotives. Vient-on aux chiffres, on constate que ces entreprises ont coûté des prix fabuleux, hors de toute proportion avec les résultats qu’elles peuvent donner ; que les usines feraient faillite si elles n’étaient alimentées par le trésor ; que le chemin de fer coûte par an une somme d’intérêts dix. fois supérieure à celle de ses recettes ; qu’en un mot ces travaux commencés à la légère dans toutes les directions sont pour la plupart des sources de nouvelles dépenses et non de richesses : au lieu de tendre à développer la source principale et pour le moment unique de la fortune indigène, l’agriculture, forcer la production du riz, faciliter son écoulement sur le marché, augmenter et améliorer l’industrie des soies, créer celle du chanvre, leur but semble surtout de fabriquer sur place des objets que le pays ne peut produire ou qu’il ne peut créer à des prix raisonnables et capables de rivaliser avec le commerce européen. Ceux mêmes d’entre ces travaux qui seront utiles un jour sont aujourd’hui