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Aujourd’hui, forcé, pour une foule d’achats à faire à l’étranger, de disposer d’une grande quantité de numéraire, il a ordonné que le paiement de l’impôt se ferait en espèces ; mais, pour convertir ses produits en argent, il faudrait au fermier des centres de commerce, des marchés, des routes pour s’y rendre, et une production assez abondante pour s’adresser à l’exportation ; il lui faudrait enfin un système de banques solidement organisées et excitant sa confiance. Faute de ces élémens, il lui est impossible de s’acquitter en argent, et quand il sent le joug peser trop lourdement sur ses épaules, il se révolte, comme il est arrivé tant de fois dans le cours des dernières années. Soumis pour tout le reste, l’homme de la glèbe redevient féroce quand le fisc tente de lui arracher la subsistance de sa famille, pour la jeter dans des dépenses d’apparat qui ne profitent qu’à la capitale. La réforme est d’autant plus urgente que l’excès des taxes, en empêchant le cultivateur de faire aucune économie, met obstacle aux améliorations qu’il pourrait réaliser, et tarit par suite les sources mêmes de la production ; mais, d’autre part, la diminution des taxes foncières aurait nécessairement pour résultat d’augmenter celles qui frappent le commerce, et dans la situation précaire où est celui-ci, on ne saurait l’atteindre sans le tuer.

Avant d’entrer dans l’examen de la situation financière, il est nécessaire d’observer qu’il n’existe pas encore de comptabilité publique au Japon. Le gouvernement a pris, depuis quelque temps, l’habitude de publier à l’avance le budget projeté de chaque année, mais le public ne possède pas les élémens d’un contrôle sérieux, et d’ailleurs le règlement des comptes est secret, et nul ne sait comment le projet a été mis à exécution, quelles augmentations ou quelles diminutions ont subies les chiffres du budget estimatif. Sans doute, le chapitre des recettes contient invariablement un article qui représente l’excédant de l’exercice précédent ; mais comme cette déclaration n’est ni appuyée par des comptes, ni vérifiée par une assemblée ou un conseil quelconque, elle n’a d’autorité que celle qui s’attache à la personne du ministre des finances. Or, en tenant même sa véracité pour indubitable, on doit encore se mettre en garde contre des erreurs d’appréciation qu’il est difficile d’éviter en pareille matière. L’une des principales, c’est l’estimation de l’impôt foncier ; cet impôt est en effet encore payé en nature dans une grande partie du pays, et là même où il est payé en espèces, il est calculé d’après le prix courant de la mesure de riz prise pour unité, le koku. Or quel est le prix du koku ? Ce prix est variable et peut s’abaisser jusqu’à 2 yen[1], ou monter jusqu’à 4 et au-delà ;

  1. Le yen vaut environ 1 dollar ou 1 piastre (5 francs) ; le sen, qui en est la centième partie, vaut 1 cent (5 centimes).