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une haute-cour de justice, le daï-shi-nin, destinée, dit la loi du 28 mai 1875, à maintenir un système de loi uniforme pour tout le pays. Elle se rapproche par là de notre cour de cassation ; mais comme elle ne peut se borner à casser des jugemens pour violation d’une loi qui n’existe pas, elle est en même temps chargée de réformer les sentences qui paraissent mal rendues et constitue par là un troisième degré de juridiction. On espère que sa jurisprudence finira par former à la longue un corps de doctrine comme celle du banc de la reine. Les lois criminelles ont subi une refonte dans le Sin Ritz-ko-rio ; mais cette compilation, dépourvue de tout esprit scientifique, n’est qu’un travail préparatoire pour une nouvelle œuvre encore à l’état de projet. L’esprit moderne et les préjugés locaux ont peine à se mettre d’accord sur des questions aussi délicates que la classification des délits, la gradation et le choix des peines. Le criminaliste doit peut-être ici se garder de réagir par un excès d’indulgence contre l’excès de sévérité du code actuel. Quant au système pénitentiaire destiné à poursuivre la réforme morale du condamné en même temps que sa punition, il est encore rangé parmi les rêveries humanitaires ; mais il faut signaler comme un progrès la construction d’une prison cellulaire sur le modèle de Mazas, où les prévenus sont traités avec un peu moins de barbarie que par le passé. Une infinité de règles de police, quelquefois un peu puériles, indiquent une intention marquée de supprimer toutes les manifestations extérieures qui pourraient choquer la pudeur européenne ; telle, l’interdiction des bains publics ouverts sur la rue, la défense de se livrer à certaines exhibitions un peu trop naïves. La physionomie du peuple y perd, mais la décence y gagne, et les amateurs décidés du pittoresque n’ont que quelques lieues à faire dans l’intérieur pour y retrouver des spectacles « de haulte graisse. » C’est en effet ici la destinée de bien des décrets nouveaux d’être publiés à plusieurs reprises avant d’être observés, ou suivis à la ville, tandis qu’ils restent non avenus cinq lieues plus loin. Il y a quelques années, une loi fort sage déclara nuls les contrats si fréquens par lesquels les parens pauvres vendent leurs filles nubiles au yoshivara pour les soumettre à la triste servitude que les jeunes Grecques allaient subir à Corinthe ; mais l’habitude l’a emporté sur la réforme, et la débauche n’a pas interrompu son déplorable recrutement.

Une mesure d’une importance capitale a été prise par le gouvernement au sujet du service militaire, qui avait été jusqu’ici le privilège de la classe des samurai. C’est uniquement parmi ces serviteurs inféodés aux anciens clans et dévoués au système féodal, que l’état pouvait prendre ses soldats, souvent plus dévoués à leur ancien prince qu’à leur pays. L’armée était entre les mains ou du