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impraticables par la pluie et se transforment en fondrières. Les transports ne peuvent se faire qu’à dos de cheval, encore est-il des provinces séparées plutôt que réunies par des sentiers où un cheval même ne passe pas. Sans doute c’est là une œuvre immense à entreprendre, dans un pays dont la configuration montagneuse double les difficultés à vaincre, où les matériaux convenables manquent le plus souvent ; mais le développement du pays est à ce prix, et ni l’agriculture, ni les mines, ni les forêts, ne pourront donner des produits rémunérateurs tant que cette amélioration fondamentale ne sera pas accomplie. Malheureusement le trésor est déjà épuisé par mille autres dépenses, et, forcé de s’arrêter dans cette voie malgré les vœux émis par les assemblées provinciales, le gouvernement doit méditer avec amertume cette sentence d’un auteur anglais : « Parcourez le monde, et là où vous n’aurez pas trouvé des chemins commodes pour aller de la ville au bourg et du village au hameau, vous pourrez prononcer que vous êtes en pays barbare. » Loin de répandre dans les provinces le bienfait des communications faciles, l’activité des ingénieurs se concentre à Yeddo, à Yokohama et dans quelques ports ouverts aux étrangers ; c’est là, sous les yeux des ministres résidens et des voyageurs, qu’on allume le gaz, qu’on élève les façades prétentieuses, qu’on installe les usines et qu’on exhibe sur un théâtre restreint le panorama de la civilisation.

Ceux qui suivent avec attention le mouvement de réforme du Japon ont pu remarquer une évolution latente, mais suivie, qu’il faut faire remonter au retour d’Iwakura, en octobre 1873. Il semble que cet homme d’état ait rapporté d’Europe l’impression que tous les emprunts directs faits dans la sphère matérielle, toutes les imitations serviles ne représentaient que l’extérieur et l’écorce de la civilisation occidentale, mais que, pour en extraire la sève féconde, il fallait avant tout transformer, redresser l’intelligence de la nation et y jeter les germes des progrès futurs. On s’est attaché dès lors avec moins d’ardeur aux travaux publics d’apparat, aux bâtisses, aux entreprises industrielles, et avec plus de zèle que jamais à l’éducation nationale dans toutes les directions. Reçu assez froidement par les divers cabinets de l’Europe, le premier ministre se rendit compte qu’il fallait désespérer pour le moment de traiter avec eux sur le pied d’égalité et s’arranger de manière à refuser cette ouverture du pays, qu’ils croyaient obtenir lors du renouvellement des traités. Il semble que depuis lors le Japon se soit renfermé dans une sorte de recueillement, attendant son heure, préparant en silence des générations nourries du suc de la science, faisant, un peu tard peut-être, des économies nécessaires et se condamnant lui-même, comme le candidat évincé à un examen, à quelques années de plus d’une préparation laborieuse. Le règne des entrepreneurs