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des hommes importans du parti républicain prirent immédiatement la résolution de faire échouer à tout prix sa candidature dans la convention qui allait se réunir.

Par déférence envers les populations de l’ouest, dont l’appui électoral leur est indispensable pour contre-balancer les votes du sud, acquis au parti démocratique, les républicains avaient décidé que leur convention générale siégerait à Cincinnati, la ville la plus importante de l’Ohio. La convention de 1876 présentait un intérêt exceptionnel : il ne s’agissait plus, comme dans les trois conventions précédentes, de procéder à une désignation prévue et imposée par l’opinion publique. Il y avait cette fois plusieurs candidats en présence, et personne ne pouvait préjuger le choix auquel la convention s’arrêterait. Aussi vit-on accourir à Cincinnati, plusieurs jours à l’avance, en même temps que la foule des solliciteurs pressés de se mettre en rapport avec les hommes influens et d’établir leur droit à un emploi quelconque, les amis particuliers des candidats, chargés de sonder les délégués à leur arrivée et d’organiser une active propagande. Détail caractéristique et qui prouve la toute-puissance des préjugés : le parti républicain avait fait passer, dans la session de 1875, un bill dit « des droits civils, » qui consacrait le droit des hommes de couleur à être reçus dans les voitures publiques, les bateaux à vapeur, les théâtres, « les hôtels et établissemens publics quelconques, » sur le pied d’une égalité absolue avec les blancs : le maintien de ce bill devait être un des articles du programme que la convention républicaine allait voter ; néanmoins le premier soin de ceux qui étaient chargés de retenir des logemens pour les délégations du nord fut de s’assurer partout qu’on ne courait point le risque de se rencontrer avec quelqu’une des délégations du sud, composées presque entièrement d’hommes de couleur. Ces délégations eurent peine à trouver des hôtels qui voulussent les recevoir.

Les hôtels où loge une délégation ne manquent point de se pavoiser de drapeaux aux armes de l’état qu’elle représente, et d’autres drapeaux chargés d’inscriptions en l’honneur du candidat qu’elle patronne. Si les partisans d’un candidat ne regardent pas à la dépense, ils louent un corps de musique qui parcourt la ville, précédé de drapeaux et de bannières, et va donner des sérénades aux personnages politiques favorables à ce candidat. C’est une occasion de harangues en plein air et de manifestations destinées à agir sur les esprits. Pendant ce temps, les meneurs nouent leurs intrigues, cherchent à recruter des voix parmi les délégués et négocient avec les hommes importans que l’offre d’un portefeuille ou d’un poste diplomatique peut tenter. L’étiquette interdit aux candidats de se rendre dans la ville où siège la convention ; mais ils ont