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ses mérites, tint à le récompenser par son élévation au cardinalat. Il n’avait rien fait pour solliciter cette dignité, il avait plutôt tout fait pour l’éviter ; il la considérait comme écrasant ce qu’il appelait son insuffisance, et il n’y a rien de plus touchant que les détails de l’humble vie à laquelle se réduisait le nouveau grand dignitaire de l’église.

Insensible aux honneurs mondains, le cardinal de Bertille ne craignait pas la disgrâce ; elle ne se fit pas attendre. Richelieu ne le trouvait pas suffisamment assoupli aux exigences de sa politique intérieure et extérieure. Au dehors, Richelieu était résolu à tout sacrifier à l’abaissement de la maison d’Autriche : le cardinal de Bérulle refusait de s’associer aux traités avec l’Angleterre et la Hollande, qui lui paraissaient laisser les catholiques anglais et ceux des Provinces-Unies à la merci du fanatisme protestant. Au dedans il avait, il est vrai, servi fidèlement le premier ministre en mettant obstacle au mariage du frère du roi, Gaston d’Orléans, avec la princesse de Nevers, épisode qui a fourni à M. l’abbé Houssaye l’un des plus attachans récits de son ouvrage ; mais il ne voulait pas pousser à bout le duc d’Orléans, et si ses conseils avaient été écoutés, la guerre civile qui fit monter sur l’échafaud de Toulouse le dernier descendant des Montmorency aurait pu être épargnée. Inquiet et irrité de sa présence à la cour, Richelieu prit le parti de l’éloigner ; par ménagement pour la reine-mère, dont le cardinal de Bérulle avait toute la confiance, il annonçait qu’il le destinait à l’ambassade de Rome, quand une mort prématurée fit disparaître celui que le tout-puissant ministre considérait sinon comme un rival, au moins comme un adversaire importun et dangereux. Atteint subitement d’une maladie qu’il jugea lui-même inguérissable, le cardinal de Bérulle se fit transporter à la maison de l’Oratoire, et, résistant jusqu’aux derniers momens aux défaillances du corps, il eut la consolation de mourir en prêtre, à l’autel.

Tel est cet ouvrage, où M. l’abbé Houssaye a révélé, avec les patientes recherches de l’érudit, les véritables qualités de l’historien. En consacrant trois volumes à la vie de M. de Bérulle, ce n’est pas seulement une biographie qu’il a voulu compléter, c’est l’histoire religieuse des premières années du XVIIe siècle qu’il a écrite, et plusieurs chapitres de son ouvrage pourront utilement servir à l’histoire politique de cette époque.


ANTONIN LEFEVRE-PONTALIS.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.