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d’archéologie. On sent qu’avant de s’éprendre du côté théorique et historique de la charité, elle s’est familiarisée avec les difficultés de la pratique. Ce serait soulever mal à propos le voile derrière lequel elle dérobe les plus beaux secrets de sa vie que de raconter ici les obstacles qu’elle a eu à vaincre pour faire accepter par une population insouciante et misérable les conseils d’une charité bien entendue, la fermeté et la décision dont elle a du faire preuve, les rancunes inintelligentes et même les tentatives de vengeance dont elle a été l’objet. Mais ce n’est pas sortir de notre sujet que d’indiquer en quelques mots les difficultés toutes particulières que suscitent à l’exercice de la charité napolitaine les transformations profondes amenées dans la législation et dans les mœurs par l’annexion du royaume de Naples à la monarchie piémontaise. Il ne s’agit en effet de rien moins que d’opérer pacifiquement et sans secousse une révolution à certains points de vue aussi radicale que notre révolution de 1789. Il s’agit de faire vivre, aux conditions d’une législation nouvelle, sage sur certains points, injuste sur d’autres, des établissemens qui avaient conservé la réglementation du moyen âge, et de plier à cette transformation les habitudes d’une population routinière. Parmi les questions qui paraissent préoccuper au plus haut degré la duchesse Ravaschieri, il en est une que je signalerai parce que les difficultés qu’elle présente ont donné lieu en France à de vives controverses : je veux parler de la question des enfans assistés.

Personne ne s’étonnera que dans ce pays de Naples, aux mœurs faciles et précoces, le nombre des naissances illégitimes soit considérable, et que la charité ait du se préoccuper de bonne heure de pourvoir aux misères qui résultaient de ces naissances. Depuis plusieurs siècles, un des plus riches et des plus puissans établissemens de Naples, la Santa Casa dell’ Annunziata, est destiné à recevoir les enfans trouvés Ou abandonnés. Admis dans cet établissement, ils reçoivent officiellement le titre « d’enfans légitimes de la Santa Casa. » Mais le peuple a supprimé cette longue dénomination et leur donne l’appellation à la fois singulière et touchante « d’enfans de la Madone. » Le nombre des enfans de la Madone a un peu diminué à Naples depuis que l’administration, marchant sur la trace de l’administration française, a remplacé les abandons au tour par les abandons au bureau d’admission ; cependant il est encore assez grand pour qu’une fois ces enfans reçus à l’hospice, il soit assez malaisé de les faire vivre. Ici nous nous retrouvons en présence de ces problèmes familiers à tous ceux qui se sont occupés en France de ces difficiles questions, et de cette mortalité de 85, 90 et jusqu’à 95 pour 100, qui nous effraie dans nos propres statistiques. Une habitude touchante, qui tient aux mœurs du pays, offre cependant pour l’éducation première de ces enfans une ressource qui nous est inconnue en France. Lorsqu’une femme des environs de Naples perd son enfant