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Peu de jours après la bataille de Buzenval, le 28 janvier 1871, M. Guillaume, directeur de l’École des beaux-arts, écrivait à M. Jules Simon, alors ministre de l’instruction publique, que la mort d’Henri Regnault, qui avait si profondément ému le public, touchait particulièrement l’école où il avait fait ses premières études. Elle considérait qu’exempté par la loi de tout service de guerre, le jeune lauréat des prix de Rome avait néanmoins voulu combattre pour son pays, et s’honorant de sa fin comme de son talent, elle désirait consacrer à jamais son souvenir, « Sans préjuger en rien la forme du monument, ajoutait M. Guillaume, on peut dire qu’il se composerait d’un buste avec l’ajustement architectonique le plus convenable. Il serait placé dans notre cloître, si propre à recevoir de telles consécrations. Les camarades de Regnault, ses condisciples de Rome, apporteraient le concours de leurs talens. Votre administration pourrait fournir les marbres à employer. Une souscription couvrirait rapidement les frais de la taille des matériaux et de leur mise en place. » Le ministre fit un accueil empressé à cette généreuse pensée ; mais il remarquait dans sa réponse qu’Henri Regnault n’était pas la seule victime que la guerre eût faite dans les rangs de l’école : « Sous son nom, sous son buste, ajoutait-il, inscrivez les noms de ceux de vos élèves qui sont morts comme lui en combattant pour la plus sainte des causes. Un monument comme celui que vous allez élever n’est pas fait pour inspirer uniquement de tristes pensées. Ces jeunes gens sont morts en héros, mais la France avec de tels enfans ne périra pas. Quelque sinistre que soit le moment que nous traversons, j’espère du fond de mon cœur que c’est une nation nouvelle qui sortira de ces désastres. »

Les meilleures pensées essuient souvent dans la pratique des difficultés imprévues. Le monument qu’on se proposait d’élever avait un sens complexe et devait répondre à une double destination. Il s’agissait de glorifier le souvenir d’un artiste dont les éclatans débuts avaient excité les plus vives espérances, « d’un jeune homme de génie, moissonné dans sa fleur et qui avait donné l’exemple du plus pur patriotisme ; » mais à son nom on voulait associer d’autres noms, à sa mémoire d’autres mémoires également sacrées. Au surplus, si la division du travail produit dans l’industrie de merveilleux résultats, elle est souvent une entrave, un empêchement dans l’exécution d’une œuvre d’art. Il n’est pas facile de mettre d’accord deux architectes et deux sculpteurs ; cela demande du temps, beaucoup de patience, beaucoup de bonne volonté. Ni la patience, ni la bonne volonté, n’ont manqué à personne ; on s’est concerté, on s’est entendu, on s’est fait des sacrifices mutuels, chacun a mis du sien dans l’œuvre commune, qui a bien le caractère d’une œuvre collective, sans pécher cependant par un défaut d’unité. L’emplacement qu’elle occupe est du choix le plus heureux. Où trouver dans tout Paris un endroit plus recueilli dans sa retraite et dans son