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même de la plante humaine, ou, pour parler plus exactement, de l’animal humain. L’action des institutions ne dépasse pas son épiderme : comme il est indomptable, on doit se contenter de le museler ; les meilleures lois se bornent à cela. En est-il beaucoup qui atteignent ce but ? Il est permis d’en douter.

Nous ne pousserons pas plus loin ces considérations, car nous en avons dit assez pour montrer quels secours les diverses branches de la sociologie peuvent tirer des découvertes des sciences naturelles, notamment de la biologie. Nous nous résumerons en disant que, ces études étant encore à leur début, les esprits soucieux de ne pas s’écarter des sages préceptes tracés par la philosophie positive ne doivent chercher à lire dans l’avenir des sociétés qu’avec une circonspection, d’autant plus grande que l’espèce humaine paraît encore jeune et riche en énergies latentes, tandis que le globe qui la porte et d’où elle puise les matériaux de sa sève, laisse déjà entrevoir des symptômes d’épuisement. Cependant un fait paraît hors de conteste : les tendances envahissantes de la famille aryenne, qui gagne chaque jour sur les tribus inférieures, et sa marche lente, mais soutenue, vers une connaissance de plus en plus complète des lois du temps et de l’espace, vers une ère que nous avons appelée l’ère scientifique. Cet âge marquera l’apogée de l’humanité virile. Envisagée en effet dans ses résultats, la science peut se définir la conquête par l’homme des forces cosmiques, leur dressage, si je puis m’exprimer ainsi, leur transformation en machines souples et intelligentes. Faire servir ces auxiliaires à l’appropriation et à la culture de la ferme planétaire, afin d’en tirer le maximum de rendement, tel est le but final de nos efforts, et s’il existe ici-bas une destinée pour notre espèce, n’est-ce pas la seule qu’il convient de lui attribuer ? Verra-t-on se réaliser alors le rêve des philosophes, je veux dire la justice parmi les hommes, la prospérité dans les états, la paix entre les peuples ? On n’oserait l’affirmer, si l’on tient compte à la fois de la nature de l’être humain et du milieu où il se trouve placé. Le champ de la planète, étant limité, ne cessera jamais de laisser planer sur nos têtes l’inexorable loi de Malthus. Les existences trop faibles pour soutenir la lutte de la vie seront perpétuellement broyées par celles qui se trouveront mieux armées ou mieux servies par les circonstances ambiantes ; celles-ci à leur tour succomberont devant les forces de la nature que nous n’aurons pas su dompter. Le progrès adoucira ces rigueurs, mais ne les abolira jamais. Les perspectives édéniques que notre imagination se plaît à placer au terme de notre carrière ne sont peut-être, suivant un mot bien connu, que « le songe d’un homme éveillé. »


ADOLPHE D’ASSIER.