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peuplaient les solitudes de l’ancien monde, on s’aperçoit que des indices non équivoques d’épuisement s’accusent dans les diverses manifestations de la vie planétaire. La force plastique qui mit jadis en œuvre ces créations colossales va s’affaiblissant d’âge en âge, et l’on peut dire que depuis les derniers dépôts des terrains tertiaires le globe est entré dans son déclin.

Ce dualisme entre la terre déjà vieille et l’humanité encore jeune et grandissante, ne doit point être perdu de vue par ceux qui cherchent à pressentir le dernier mot des destinées humaines. Est-il possible à l’heure qu’il est de poser ce problème, d’indiquer le terme fixé à l’évolution de notre espèce ? Bien qu’il soit difficile, vu l’état peu avancé des études sociologiques, de se faire des idées justes sur le devenir des sociétés, il ne nous paraît pas impossible d’aborder le redoutable point d’interrogation que nous venons de poser, car ici nous rentrons dans le domaine des sciences naturelles, et nous trouvons, pour nous guider dans nos recherches, un faisceau compacte d’inductions tirées des lois organiques, planétaires et cosmiques.

Après avoir présenté, dans une marche toujours ascendante, les divers stades de l’âge viril, l’humanité, semblable au vieillard parvenu au terme de sa carrière, entrera dans une période décroissante caractérisée par l’endettement de ses forces vives, le dépérissement, l’extinction. Cet arrêt de mort, qu’on pourrait prendre pour un a priori philosophique fondé sur de simples analogies, repose sur les données les plus solidement établies des sciences biologiques. Une loi entrevue par Lamarck et vérifiée depuis par la paléontologie et l’embryologie comparées, nous apprend que l’espèce, évoluant comme l’individu, dont elle n’est en quelque sorte que la trajectoire à travers les âges, reproduit toutes les phases organiques de ce dernier. L’espèce est à l’individu ce que l’arbre est au bouton qui donne la fleur : tandis que quelques jours ou quelques semaines suffisent à celui-ci pour accomplir le cycle de son existence, le tronc semble défier le temps ; il tombe cependant de vétusté le jour où la vie ne peut plus pénétrer dans des organes rendus impropres à la circulation par le labeur séculaire de la sève. Tout membre de l’échelle zoologique est un foyer de combustion destiné à s’éteindre lorsque la somme des élémens comburans qui lui est dévolue a été consumée. Il en est de même des espèces ; elles s’éteignent à mesure qu’elles ont perdu la somme des énergies qui leur avaient été départies à l’origine, et la paléontologie nous les montre à l’état fossile aux diverses couches de l’épiderme tellurique.

La théorie de Darwin, quelles que soient d’ailleurs les lacunes qu’elle présente encore, est ici d’un précieux secours, car elle explique de la manière la plus simple le dépérissement et l’extinction