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Après avoir réservé la part qui revient à la psychologie, ils considèrent d’abord l’homme-organe, sans lequel l’homme-intelligence n’est plus qu’une fluidité insaisissable. Comme la connaissance des êtres vivans suppose l’étude préalable du milieu qui les alimente, c’est dans l’examen du champ planétaire, dans la nature et l’étendue de ses diverses parties qu’ils cherchent les conditions premières de l’existence des peuples et les limites fixées au développement des races. Établir le rapport normal qui doit exister entre la population et la surface, ainsi que la puissance productrice du globe, telle est la première question qui se présente.

La superficie du globe peut être évaluée en chiffre rond à 51 milliards d’hectares, qu’on réduit généralement à 14 milliards pour ne mettre en ligne de compte que les terres émergées. Dans les pays fertiles et bien cultivés, en Belgique par exemple, la terre peut nourrir deux habitans par hectare. Si nous réduisons ce chiffre de moitié pour tenir compte des terrains médiocres ou impropres à la culture, on trouve que les îles et les continens peuvent suffire à l’alimentation de 14 milliards d’individus. La population du globe étant estimée, d’après les calculs des géographes les plus autorisés, à 1 milliard 400 millions d’habitans, on arrive à cette conclusion que les neuf dixièmes de la planète sont encore en friche, ou, pour parler plus exactement, que la race humaine, condensée dans certaines contrées jusqu’au point de s’affamer, abandonne la plus grande partie du sol planétaire aux diverses espèces zoologiques.

Comment expliquer une telle anomalie, si ce n’est par l’ignorance des lois économiques dont une des plus anciennement constatées est l’émigration ? Nous avons vu les tribus aryennes obéissant à cette loi dès leur apparition sur la scène du monde. Chez certaines nations policées, on rencontre cette même loi élevée à la hauteur d’une institution nationale, car elle se présente non-seulement comme le dérivatif naturel de l’excès de la population, mais elle a encore le double avantage d’être un élément de prospérité pour la métropole et un des plus puissans véhicules de la civilisation. Dès les premiers siècles de leur histoire, nous voyons les Hellènes couvrir de colonies les côtes de la Grande-Grèce, de la Sicile, de la Gaule et de l’Espagne. Vers l’an 600 avant notre ère, le sénat de Carthage chargeait un de ses amiraux, Hannon, d’aller fonder des établissemens sur les côtes de l’Afrique occidentale à la tête de soixante navires portant 30,000 émigrans. Rome, qui ne suivit que timidement ces exemples, eut à soutenir la guerre des esclaves et la guerre sociale. Au XVe et au XVIe siècles, la boussole permit aux Portugais et aux Espagnols de reprendre l’émigration sur une plus grande échelle. Les premiers laissèrent une traînée de colonies depuis les côtes de l’Afrique septentrionale jusqu’aux extrémités de