Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/194

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle tire son origine de l’antagonisme qui se produit entre l’exubérance des forces vitales que présente le globe à ce moment de son évolution cosmique et les limites malheureusement si restreintes du champ planétaire. Prise dans son acception la plus large et envisagée dans ses trois grandes manifestations, le règne végétal, le règne animal et le règne humain, la vie nous apparaît comme un vaste champ de bataille qui se déroule à travers les âges sur toute la surface du sphéroïde tellurique, drame immense ayant pour point de départ la prise de possession du sol par l’humble végétal et pour dernier terme les destinées encore inconnues de sociétés futures. On peut résumer en quelques lignes ces envahissemens successifs de la planète par les trois grands facteurs de ce drame, la plante, l’animal et l’homme, le premier alimentant le second, tous deux alimentant le dernier, tous, deux faisant pressentir, par l’étude de lois qui limitent leur expansion, celles qui règlent le développement de notre espèce, c’est-à-dire les conditions d’existence des sociétés, base première de l’économie politique. Il suffit en effet, pour se rendre compte de ce triple mouvement organique, de jeter les yeux sur ce qui se passe autour de nous dès que les trois grands principes de la vie, l’eau, l’air et le soleil, ne sont arrêtés par aucun obstacle. Dans nos contrées tempérées, nous sommes témoins chaque année de la fiévreuse activité des forces végétales : aux premières effluves du printemps, la terre se couvre au bout de peu de jours d’un tapis de verdure ; dans les régions équatoriales, quelques heures suffisent. Dans les mers, c’est le groupe immense des algues qui tapissent le fond ou la surface des eaux. Les roches elles-mêmes ne peuvent échapper à la loi commune. Quand elles sont trop sèches ou trop dures pour que les mousses y prennent racine, elles sont envahies par les lichens, qui s’y cramponnent de leurs griffes foliacées. On peut dire que la vie suinte de tous les pores de la planète, et en voyant la végétation ruisseler de toutes parts, on conclut que le premier caractère des forces vitales est une expansion irrésistible, une sorte de furie végétale qui ne s’arrête que lorsqu’elle envahit la surface du globe.

Mais ce n’est là que le premier acte du drame. Dès que l’espace manque à cette expansion des forces végétales, elles se replient sur elles-mêmes, c’est-à-dire sur la plante, et alors commence dans le monde souterrain des racines la lutte la plus acharnée qui ait jamais eu lieu entre les élémens de la nature. Chaque pouce de terrain est disputé par une foule de combattans invisibles qui se pressent, s’affament, se dévorent, car chacun d’eux sent que c’est son existence même qui est en jeu. Dans la dynamique vitale, comme dans la dynamique physique, dont elle n’est qu’une simple