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diverses étapes vont nous servir de points de repère dans l’étude de l’évolution ethnique ; les peuples en effet naissent, vivent et meurent comme les individus et présentent les mêmes phases depuis la première enfance jusqu’à l’extrême vieillesse.

Essayons de caractériser chacune de ces périodes. Un peuple naissant n’a, de même que l’individu, qu’un seul objectif, vivre, se développer, grandir. Toutes ses forces vives se concentrent vers ce but suprême. Ses premiers chefs sont des « pasteurs de peuples ; » le sceptre des rois a été d’abord une houlette, et rappelle que leur premier soin doit être de veiller à ce que le troupeau confié à leur garde pâture paisiblement dans le coin de la planète qui lui a été assigné. La vie pastorale, premier état social de la plupart des tribus humaines, cède insensiblement le pas à la vie agricole, la seule qui puisse alimenter une population nombreuse et qui permette de constituer une nation, car la cohésion, nécessaire pour ce grand travail, manque aux hordes nomades. Aux préoccupations des travaux agricoles s’enjoint une autre non moins puissante, celle de la défense. On choisit un chef : c’est le plus courageux, le plus fort, le plus brave au combat. Sous sa conduite, les habitations se groupent sur un point de facile défense ; on l’entoure d’un mut. Ainsi s’organise la cité, première ébauche de la vie politique ; c’est là qu’à l’approche de l’ennemi se retirent les populations des environs avec leurs troupeaux et leurs récoltes. Tout le monde est soldat en même temps que laboureur.

Mais il ne suffit pas, pour faire naître un peuple à la vie politique, de l’organiser contre l’ennemi du dehors, il faut aussi le discipliner contre les perturbations du dedans ; de là les tables de la loi, que l’on voit apparaître à l’aurore de toute civilisation, et qui tracent à chacun les limites où finissent ses droits, où commencent ceux du voisin. Une pénalité est attachée à la transgression de chacune de ces règles ; c’est d’ordinaire la loi du talion, œil pour œil dent pour dent. L’animal humain ne peut entrer dans l’ordre social, s’il ne sent au-dessus de sa tête un châtiment qui menace chacune de ses usurpations : aussi tous les fondateurs d’empires dont l’histoire nous a conservé le nom, Manou, Zoroastre, Moïse, Romulus, etc., furent-ils d’abord des législateurs. Chose digne de remarque, les maximes dont ils s’inspiraient sont les mêmes que celles qu’invoquent les législateurs d’aujourd’hui : l’inviolabilité de la personne humaine, le respect de la propriété. Tu ne tueras point, tu ne commettras point d’adultère, tu ne déroberas point, disaient les tables de la loi que Moïse présenta aux Hébreux comme lui ayant été dictées par Jéhovah lui-même au milieu des éclairs du Sinaï. Si l’on rapproche la simplicité de ces préceptes de la fastidieuse