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Miniature la série des transformations analogues parcourues dans le cours des âges par l’espèce à laquelle cet animal appartient. On sait quel parti la paléontologie tire journellement de cette loi. Si l’on cherche à établir la filiation des formes successives revêtues par une espèce depuis son apparition sur la planète, il arrive presque toujours que les fossiles font défaut quand on arrive aux terrains les plus anciens. On fait alors appel à l’embryologie, qui permet de reconstituer par la pensée la nature des formes disparues. Ce principe, appliqué à la race humaine et pris dans son acception la plus large, c’est-à-dire détendant jusqu’à la psychologie, devient le fil conducteur le plus sûr pour l’étude des lois sociologiques. Les diverses manifestations physiques, intellectuelles et morales de l’évolution individuelle se retrouvant sous d’autres noms, mais sous des formes analogues dans la vie des peuples, l’analyse préalable de l’être humain nous permettra, non de construire a priori une synthèse historique comme le comprenait l’ancienne philosophie, mais de poser quelques jalons sur la route que parcourent les sociétés dans leur évolution à travers les siècles. Commençons donc par esquisser les traits principaux qui caractérisent les grandes phases de l’existence humaine en prenant l’homme à sa naissance.

Ses premières manifestations sont des vagissemens, et chaque vagissement est un appel à la nourrice. Quand il s’éveille, c’est pour jeter son cri de détresse, se cramponner au sein maternel et se rendormir aussitôt, comme pour annoncer que le monde n’est pour lui qu’une mamelle intermittente. On voit que ce petit être est obsédé par un besoin unique, incessant, implacable, celui de la faim. Lui présente-t-on un joujou, il le porte aussitôt à sa bouche, comme si toutes les forces vitales qui l’animent étaient concentrées sur cet organe. Quand le joujou vient à lui manquer, il y porte sa main et suce ses doigts ; ses premiers bégaiemens dérivent également de cette obsession famélique ; le mot maman rappelle dans ses formes archaïques le sein et l’action de sucer ; le mot papa exprime dans certains dialectes ibères l’idée de manger. Pour l’enfant, la mère est la laitière, le père le nourricier. Ses premières pensées, ses premiers pas, ses premiers mouvemens sont dictés par le même mobile, il vient à vous dès que vous lui présentez quelque chose qu’il puisse porter à ses lèvres ; on arrête ses pleurs en lui promettant ce qui flatte sa gourmandise. Le meilleur ami est pour lui celui qui lui fait le plus de présens de ce genre.

Ces vagissemens faméliques, ce syllabaire dont chaque note est un cri de l’estomac, cette frénésie gloutonne, sont autant de manifestations inconscientes d’un travail physiologique qui s’accomplit dans l’enfant et qu’on pourrait définir ; un appel incessant de