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êtes satisfait… Vous avez eu votre tour,… mais j’aurai le mien, allez ! Pourquoi supposez-vous donc que je sois venue ce soir ? Je suis venue pour vous dire qu’outragée, délaissée comme je l’ai été par mon mari, je l’aime, je l’aime comme je n’ai aimé, comme je n’aimerai plus personne, comme je vous hais, maudit ! Je me traînerai à genoux sur ses traces partout où il ira. Voilà ce que je suis venue vous dire, et plus que cela ! Le secret que vous m’avez confié de l’existence de sa sœur, vrai ou faux, je le lui porterai… Je l’aiderai à retrouver Grâce… Je le forcerai ainsi à me pardonner, quand je devrais immoler à cette tâche le monde entier et ma propre vie. Entends-tu, chien ? Entends-tu, bâtard de demi-sang ? Grince des dents à ton aise, je te connais… Je t’ai connu dès le premier jour où j’ai fait de toi mon instrument, ma dupe… Ah ! tu tires ton couteau enfin ! Va donc ! Je n’ai pas peur, lâche, je ne crierai pas, je te le promets ; va donc !

Ce n’est pourtant pas le corps de Julie qu’on trouve au lever de l’aube sous le Grand-Pin, mais le cadavre sanglant de Ramirez. Qui donc est l’assassin ? Est-ce Mme Conroy ? est-ce Perkins ? est-ce le mari offensé ? Voilà le nœud du roman. Les soupçons se portent aussitôt sur Gabe, qu’on arrête au moment où il se rendait à Sacramento, auprès de sa sœur Olly. Le pauvre diable ne se défend pas. Croyant sa femme coupable, il juge que le devoir lui commande de la protéger jusqu’au bout ; bien mieux, il est résolu à sauvegarder non-seulement la vie, mais encore la réputation de la meurtrière. Pour cela, il met le coup de couteau sur le compte d’une querelle de jeu, il invente une fable plausible, lui, Gabe ! Il est vrai que c’est pour se perdre plus sûrement. Deux hommes refusent de le croire : le légiste Maxwell, devant qui Olly a plaidé autrefois d’une façon si comique le cas de breach of promise, et le beau Jack Hamlin, banquier des jeux, qui s’est pris de sympathie en passant pour la stature athlétique, les yeux de myosotis et l’enfantine physionomie de l’hercule du One Horse-Guich, Hamlin va chercher Olly à Sacramento afin que son frère, en prison, puisse l’embrasser, et ici se place un épisode charmant, bien qu’il soit un pur hors-d’œuvre, le voyage de l’innocente enfant et du joueur de profession, un dandy déclassé.

Celui-ci n’a pas voulu dire à la fillette le danger que court son frère ; en la conduisant à fond de train sur la route de One Horse-Gulch, il lui parle au contraire de ce qui peut l’amuser, et comme Olly ne craint point les confidences amoureuses, il finit le plus naturellement du monde, et sans s’écarter de son rôle paternel, par lui raconter comme un conte bleu son adoration romanesque pour la belle recluse métisse du rancho de la Sainte-Trinité, qu’il a