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irrésistible, sans avoir même pour ainsi dire la responsabilité de Leurs acte, d’héroïsme ou de vertu.

Nous avons laissé Gabriel au milieu des horreurs du camp de la Famine. Sa sœur Grace vient de fuir avec un étranger ; pourtant aucune colère, aucune indignation ne se mêlent en apprenant son départ à l’unique et touchante inquiétude de cet honnête colosse ; — » Que va devenir la petite sœur Olympe ? Comment Olly se passera-t-elle de compagne, de gardienne ? — Une idée lumineuse traverse ce cerveau épais et lent qui ne pense guère d’habitude.

— Olly, dit-il à l’enfant, aimerais-tu avoir une poupée ? Assentiment joyeux de la petite affamée,

— Une jolie poupée et sa vraie maman qui joue avec elle comme avec un baby en chair et en os, et qui te permettrait de jouer aussi ? Eh bien ! frère Gabe ira la chercher ; seulement il faut que Grâce s’en aille pour un jour, sans quoi il n’y aurait pas de place ici pour la maman de la poupée.

Olly cède, selon l’usage de son sexe, à l’attrait de la nouveauté, — Mais, dit-elle avec inquiétude, le baby a-t-il faim quelquefois ?

— Jamais, ma mignonne.

Voici Olly soulagée d’un grand poids ; elle reçoit avec allégresse Mme Dumphy munie de son enfant imaginaire : — Venez, a dit Gabriel à cette dernière, vous-vous tuez en soignant votre petit, et il maigrit à vue d’œil. Olly vous aidera à l’amuser… jusqu’à demain.

Demain est l’extrême limite de l’avenir promis à Mme Dumphy, Gabriel le sent. La folle est donc installée à la place de la fugitive, Olly est heureuse, et les premières difficultés de l’absence de Grâce sont surmontées. Olly et Mme Dumphy se privent pour la poupée des dernières miettes de la provision, elles font bon ménage ensemble, le grand Gabe se prête à leurs illusions, et quand le baby, celui qui est au ciel, vient enfin chercher sa mère au coup de minuit, c’est encore Gabe qui assiste à la joie suprême de cette réunion pour l’éternité, c’est lui qui croise doucement les mains de la morte sur le petit mannequin qui l’a consolée. Mais avant la fin de la même nuit, il lui faut son tour : des crimes hideux se commettent dans le camp, des crimes semblables à ceux, dont les radeaux de naufragés ont été te. théâtre, et Gabe, qui par accident en a été témoin, saisit sa petite sœur et s’échappe avec elle dans les ténèbres.

Pendant qu’il erre à l’aventure, Grâce et son amant se dirigent de leur mieux dans la vaste étendue de neige, celui-ci actif, résolu, intrépide, ne songeant qu’à réussir, celle-là partagée entre le souvenir poignant des souffrances qu’elle a laissées derrière elle ; le remords de ne les avoir pas jusqu’au bout allégées par sa