Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vérité, de droit, de justice qui vont au cœur des hommes. Ce n’est pas en fendant des cheveux au moyen de la dialectique, fût-elle acérée comme un rasoir, que l’on prépare une transformation sociale. Attachés à la terre par leurs doctrines matérialistes, ils ne nous présentent point un idéal à réaliser, car pour eux tout ce qui existe est le résultat de lois nécessaires qui gouvernent les sociétés humaines comme les corps célestes. Les socialistes français sont généralement ignorans, naïfs et dupes de leurs propres chimères. Proudhon lui-même, malgré la vigueur de son esprit, n’avait qu’une instruction incomplète et mal assimilée. Mais tous sont humains ; ils rêvent à leur façon le bonheur universel. Ce sont au fond des philanthropes égarés. Malgré leurs erreurs ou même leurs insanités, ils ont un noble but : faire régner la fraternité parmi les hommes. Ce sont des rêveurs et des utopistes qui ont toujours condamné les violences des jacobins, tandis que les socialistes allemands sont secs et durs comme un syllogisme. Combien le christianisme, même considéré seulement au point de vue d’une réforme sociale, est supérieur à tous ces systèmes, où manque tantôt l’appréciation juste de la réalité, tantôt la véritable charité ! Dans l’Évangile règne partout une tendresse infinie pour les déshérités en même temps qu’un sentiment sublime de justice sociale. La vérité capitale qui ressort de tous les enseignemens du Christ, c’est que nulle amélioration n’est possible si l’on n’a pas d’abord rendu l’homme lui-même meilleur. La rénovation morale, voilà la source de tout progrès véritable. Ce n’est ni par la critique des doctrines économiques, quelque subtile qu’elle soit, ni par une forme nouvelle d’association, fût-ce le phalanstère ou la société coopérative, que l’on guérira les maux de la société actuelle ; c’est en répandant dans toutes les classes de la société plus de lumières et plus de moralité. C’est uniquement par des influences morales que le christianisme a brisé les chaînes de l’esclavage. Ainsi pourra cesser la misère. « Il y aura sans doute toujours des pauvres parmi nous » parce qu’il y aura toujours des paresseux incorrigibles et que, comme dit saint Paul, « celui qui ne travaille pas ne doit pas manger ; » mais que les classes supérieures apprennent à mieux connaître et à mieux remplir leurs obligations, que les ouvriers, plus instruits, plus moraux, moins esclaves des sens, arrivent à la propriété par le travail et l’épargne, que la science continue à accroître la productivité de l’agriculture et de l’industrie, et le paupérisme, le dénûment, disparaîtront, en tant qu’ils atteignent toute une catégorie de familles et qu’ils constituent une des plaies de notre ordre social.


EMILE DE LAVELEYE.