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places avantageuses que lui offrait le service de l’état pour s’adonner entièrement à l’étude de l’économie politique et surtout de la question sociale. Poursuivi par le gouvernement prussien pour ses opinions extrêmes et réfugié à Paris, il y publia avec Arnold Ruge les Deutsch-Französische Jahrbücher, et avec Henri Heine le journal Vorwärts (En avant). Expulsé de France en 1844, puis de Bruxelles en 1848, il rentre en Allemagne et profite de la liberté que la révolution de mars y avait conquise pour faire paraître, avec son ami M. Wolff, un journal où il malmène rudement « la bourgeoisie. » Poursuivi de nouveau, il se réfugie à Londres, où il a vécu depuis lors, partageant son temps entre ses études économiques et la direction occulte de l’Internationale. Déjà en 1847, dans un manifeste rédigé avec son ami Fr. Engels, au nom des communistes allemands de Londres, il avait formulé les deux principes qui guident encore aujourd’hui le socialisme allemand et européen ; il y soutient d’abord que l’intérêt des ouvriers, dans leur lutte contre les capitalistes, est partout le même, et s’élève au-dessus des distinctions de nationalité, et en second lieu, que les travailleurs doivent conquérir les droits politiques pour briser le joug des capitalistes. Nous ne suivrons pas Marx dans sa carrière active, ce serait faire l’histoire de l’Internationale. Ce sont ses idées seulement que nous voulons faire connaître. Ses écrits sont peu nombreux. En 1847, il fit paraître une critique très piquante et souvent très juste des Contradictions économiques de Proudhon sous ce titre : Misère de la philosophie, Réponse à la Philosophie de la Misère par M. Proudhon. Marx n’aime pas Proudhon, quoiqu’il s’en rapproche en bien des points. En 1859, il publia une Critique de l’Économie politique, qui est reproduite en grande partie dans son ouvrage das Kapital, paru en 1867[1].

Tout le système de Marx et les 830 pages de petit texte que contient son volume n’ont qu’un seul but : démontrer que le capital est nécessairement le résultat de la spoliation. La conclusion est au fond la même que celle résumée dans le fameux aphorisme de Brissot et de Proudhon : « La propriété, c’est le vol. » Cependant, quoiqu’il y ait de temps à autre des mots amers à l’adresse des fabricans et des financiers, Marx n’en veut pas aux individus : ce qu’il attaque, c’est le système. Du moins il l’affirme dans sa préface, « Il ne s’agit, dit-il, des personnes qu’autant qu’elles sont la personnification de catégories économiques ; mon point de vue, d’après lequel le développement de la formation économique de la société est assimilable à la marche de la nature et à son histoire, peut moins que

  1. La deuxième édition est de 1873. La traduction française de M. J. Roy est de 1875. Elle a paru par livraisons et a été revue et complétée par l’auteur. L’ouvrage a été traduit en russe.