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travail ne produit pas assez, ou parce que les produits sont mal distribués ? Faut-il en chercher la cause dans les vices des individus ou dans les imperfections de l’ordre social ? C’est à élucider ce problème que Mario a consacré quinze ans de sa vie et les trois gros volumes de son ouvrage inachevé. On ne peut dire qu’il y ait complètement réussi, mais son livre contient plusieurs vues originales. La comparaison qu’il trace entre ce qu’il appelle le principe païen et le principe chrétien en économie politique est juste. Le principe païen sacrifie les masses pour assurer les plaisirs et l’éclat d’une aristocratie peu nombreuse comme dans les cités antiques. Le principe chrétien ne connaît que des égaux et veut que chacun prenne part aux produits en proportion de son travail utile. L’exploitation païenne du travailleur a pris différentes formes ; d’abord l’esclavage, puis le servage, la corvée, les droits du seigneur, aujourd’hui encore l’usure, les privilèges, la spéculation malhonnête ou parasite. A mesure qu’il pénétrera les mœurs et les lois, le principe chrétien fera régner l’équité et relèvera les classes déshéritées que sacrifiaient l’ancien régime et l’antiquité.

La théorie de la propriété de Mario est remarquable. D’après lui, ce droit doit être établi de façon à assurer l’exploitation la plus fructueuse des forces naturelles, et à faire jouir des fruits du travail individuel celui qui les a créés. La propriété reposant sur l’esclavage sera donc mauvaise, d’abord parce que enlevant au travailleur le ressort de l’intérêt personnel elle ne le pousse pas à tirer de la nature tout ce qu’elle peut donner, en second lieu parce qu’elle n’assure pas à l’esclave la jouissance des fruits de son labeur. La grande propriété féodale, enchaînée dans les liens des majorats et des substitutions, peut être à certains égards favorable au progrès de l’agriculture, comme le prétendent les Anglais ; mais elle a ce défaut considérable d’exclure la plupart des hommes de la possession du sol et par suite de la jouissance de tout ce que leur travail peut produire. L’ancienne propriété germanique collective, indivisible et inaliénable, avait cet avantage qu’elle assurait à chacun la possession d’un instrument de travail ; mais elle était peu favorable à la production parce qu’elle affaiblissait le ressort de l’intérêt individuel, et elle ne peut se prêter aux situations variées qui naissent de l’organisation actuelle de l’industrie. La propriété « sociétaire, » c’est-à-dire la propriété telle qu’elle s’est constituée dans la société anonyme moderne, voilà, suivant Mario, le type qui convient le mieux à la production intensive. Elle joint les avantages de la permanence et de la puissance de production, de la propriété corporative à ceux de la divisibilité, de la mobilité et de