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question sociale, la création d’associations socialistes de production avec l’aide de l’état, sous le contrôle démocratique du peuple des travailleurs. Les associations de production pour l’industrie et l’agriculture doivent être créées sur une échelle assez vaste pour que l’organisation socialiste du travail général puisse en sortir. Comme base de l’état, il demande le droit de suffrage universel et direct pour tous les citoyens âgés de vingt ans et pour toutes les élections de l’état et de la commune ; la législation directe et la décision de la paix et de la guerre par le peuple ; le service militaire universel et les milices citoyennes au lieu de l’armée permanente ; abolition de toutes les lois qui restreignent le droit d’association, de réunion, la libre expression de l’opinion et la libre recherche ; la justice gratuite et rendue par le peuple ; l’instruction obligatoire, l’éducation générale et égale des citoyens par l’état ; la religion déclarée objet d’intérêt privé. » Ce programme de politique pratique n’a rien de très subversif, car tout ce qu’il réclame se trouve pratiqué en Allemagne même ou dans un pays voisin, en Suisse, sauf les secours accordés aux sociétés de production, expérience qui a été faite en 1848 en France sans aucun succès ; mais le but final est « l’organisation socialiste du travail général. » Ces termes sont extrêmement vagues. Que signifie au juste ce mot « socialiste » qui revient si souvent, et quelle est cette organisation nouvelle que l’on a en vue ? C’est ce que nous essaierons de déterminer en examinant les écrits dont ces idées sont sorties. Chose remarquable, comme l’a constaté le député Bamberger, les idées socialistes n’ont trouvé nulle part plus d’accueil qu’en Allemagne. Cela tient, d’après lui, au caractère spéculatif de la nation, qui se laisse séduire aisément par les perspectives idéales de l’utopie. Non-seulement elles entraînent presque tous les ouvriers, mais la bourgeoisie elle-même n’y résiste pas, et elle est disposée à dire : Mais en effet tout ira peut-être mieux ainsi ; pourquoi n’essaierait-on pas ? Le socialisme a pénétré dans les classes supérieures ; il siège dans les académies, il s’est glissé dans les chaires des universités, et ce sont des savans qui ont donné les mots d’ordre que répètent maintenant les associations ouvrières : ce sont eux qui ont attaqué le « mammonisme » et qui ont parlé le plus haut des abus du « capitalisme. » Ailleurs rien de pareil ne se voit. Examinons les livres qui ont préparé cet étrange mouvement.


I

Le socialisme, en tant que parti politique, est d’origine très récente en Allemagne. Il ne date guère que de 1863, époque où Lassalle provoqua et organisa l’agitation ouvrière. Le profond