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plusieurs sièges au parlement de l’empire et disposant dans beaucoup de collèges électoraux d’un appoint que les autres partis se disputent. Pour arrêter ces progrès inquiétans, un nouvel article du code pénal avait été présenté au Reichstag. Il semblait emprunté à des dispositions semblables des lois françaises et portait : « Celui qui excite publiquement les différentes classes de la population les unes contre les autres de manière à troubler l’ordre public, ou qui de la même façon attaque l’institution du mariage, de la famille ou de la propriété par des discours ou des écrits publics, sera puni de la peine de l’emprisonnement. » Malgré l’intervention personnelle de M. de Bismarck et malgré les instances du ministre de l’intérieur, personne ne se leva pour voter en faveur de l’article proposé. La sténographie note même que ce résultat fit rire l’assemblée. Le fait est remarquable ; il prouve d’abord que le parlement impérial ne se laisse guère influencer par les ministres, et en second lieu que, même pour combattre des doctrines considérées comme subversives, il attend plus de la libre discussion que de la répression pénale. Dans le cours du débat, le comte Eulenbourg, ministre de l’intérieur et délégué de la Prusse au conseil fédéral, afin de défendre le projet de loi, a exposé d’une façon très claire les idées actuelles du parti socialiste en Allemagne. Comme il n’a pas été contredit par les membres de la diète qui représentent cette nuance, on peut admettre qu’il n’a rien avancé qui ne fût de tout point exact.

Avant 1875, il existait en Allemagne deux puissantes associations socialistes. La première s’appelait « l’Association générale des ouvriers allemands » (Allgemeine deutsche Arbeiterverein). Fondée en 1863 par Lassalle, elle eut plus tard pour président le député Schweizer, puis le député Hasenclever. Son principal centre d’action était l’Allemagne du nord. La seconde était « l’Association démocratique des ouvriers » (Democratisch Arbeiterverein) ; elle était dirigée par deux autres députés bien connus du Reichstag, MM. Bebel et Liebknecht. Ses adhérens se trouvaient principalement en Saxe et dans l’Allemagne du sud. La première tenait compte des liens de la nationalité et réclamait l’intervention de l’état pour arriver graduellement à une transformation de la société ; la seconde au contraire ne considérait que le caractère international des intérêts de la classe ouvrière et n’attendait le triomphe de leur cause que d’un mouvement révolutionnaire. Ces deux associations ont longtemps vécu en hostilité déclarée, moins par la différence du but qu’elles poursuivaient que par suite de rivalités personnelles ; mais l’an dernier, au mois de mai, dans un congrès tenu à Gotha, elles se sont fusionnées sous le nom de « Parti socialiste des ouvriers allemands » (Socialistische Arbeiterpartei Deutschlands). Le député Hasenclever