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une victoire de libéralisme ? C’est précisément la question qui n’est nullement tranchée, qui reste même entière. M. le ministre de l’intérieur nous permettra de ne pas prendre trop au sérieux les théories historiques qu’il a cru pouvoir développer ou esquisser dans son brillant discours. Peu s’en est fallu que, par une transfiguration singulière, cette loi que M. de Marcère a lui-même appelée incomplète n’apparût comme le couronnement de notre histoire et de l’affranchissement des communes, comme une conséquence directe de la révolution française, enfin comme le dernier mot de toutes les transformations municipales accomplies jusqu’ici. C’est peut-être vraiment mettre un peu de fantaisie dans la politique. C’est surtout oublier qu’il n’y a aucune analogie entre les communes d’autrefois avec leurs franchises et leurs privilèges conquis ou achetés et les municipalités modernes, ces modestes représentations locales nées sans doute de la révolution française au souffle qui transformait tout, mais subordonnées aux lois souveraines de l’unité sociale et politique. Les noms sont restés, les institutions ne sont plus les mêmes, parce que la société a changé complètement, et M. le ministre de l’intérieur a cédé à un mirage de son imagination en allant chercher si loin la justification ou l’explication d’une loi toute de circonstance.

La vérité vraie, pratique et politique, elle a été précisée et définie par M. Grivart, M. Bocher, M. le général Loysel, qui les uns et les autres sont allés droit au nœud de la question en montrant ce que c’est qu’un maire aujourd’hui, avec son double rôle dans notre organisation publique. Ce maire, en effet, représente sans doute la commune, son conseil municipal, dont il est pour ainsi dire le pouvoir exécutif ; mais en même temps il est sous mille formes l’agent nécessaire du gouvernement. C’est lui qui donne l’authenticité à l’état civil de la population française ; c’est lui qui est chargé de la publication et de l’exécution des lois, des mesures de police générale, et il a même souvent des fonctions judiciaires à exercer. A l’heure où nous sommes, il a des obligations bien plus considérables encore dans tous les détails de notre organisation militaire. Recensement des hommes, listes de recrutement, mutations à signaler, classement des chevaux et des attelages, règlement des réquisitions et des indemnités, opérations éventuelles de la mobilisation, c’est le maire qui, au nom de l’état, est chargé de tout cela, et il y a des momens où tout peut dépendre de l’obéissance à une direction supérieure, de la promptitude d’exécution.

Eh bien ! en dehors de toute autre considération, est-ce de l’ordre, de la prévoyance, de livrer aux chances d’une élection dans un conseil municipal le choix de 33,000 fonctionnaires représentant directement l’état, ayant à remplir incessamment des devoirs au nom de l’état et indépendans de l’état par leur origine ? Chose étrange, on a cru devoir maintenir le droit du gouvernement dans les villes un peu populeuses, jusqu’au