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de vengeance comme le fantôme du château d’Elseneur ? Cette œuvre sombre et tragique, l’enfant l’a déjà connue de lui-même ; il sait de quel nom italien s’appelle ici Clodius, et cela suffit à sa haine qui se refuse de creuser plus avant, de crainte ensuite d’y voir trop clair : « Vous aimez mieux votre chien que moi, » disait-il un jour à sa mère, dont le roquet venait de le mordre jusqu’au sang. Et ce mot exprimait sa plus sincère pensée ; il se sentait haï, partout exposé au stylet, au poison. Catherine de Médicis s’était jadis hâtée d’en finir avec le règne de son fils Charles IX pour mettre sur le trône Henri III, l’enfant de sa prédilection. Qui empêchait sa mère (une autre Médicis) de lui préparer à lui le même sort et de s’entendre pour ce nouveau crime avec son maréchal d’Ancre ? Vous le voyez : la reine Gertrude et Clodius, — toujours Hamlet. Bien des gens ont dû ainsi que nous se demander comment il se pouvait faire qu’un bon vivant tel que ce Gascon d’Henri IV et Marie de Médicis, la plantureuse dame des tableaux de Rubens, eussent procréé ce maussade, malingre et mélancolique Louis XIII ? La chose pourtant s’explique, et pas n’est besoin de recourir comme Michelet à des suppositions déshonnêtes. Qu’un homme naisse à l’existence parfaitement sain d’esprit et de corps et qu’ensuite les circonstances où son éducation se développe, le régime qu’il adopte ou qui s’impose à lui modifient, altèrent, dépravent cet état physique et moral, cela se voit tous les jours. Louis, dès sa venue au monde, se trouve en présence de la situation que l’on sait ; qui eût-il aimé ? sa mère, l’Italienne, l’alliée sinon la complice de Concini ? son frère Gaston, l’objet des préférences de sa mère ? Il donna ce qu’il avait de cœur à l’entourage, prit ainsi l’habitude des favoris, des mignons : Luynes, Barradas, Cinq-Mars. Quant aux femmes, il s’en défiait ou plutôt se défiait de lui vis à vis d’elles. Des événemens en effet avaient pu naître l’incurable mélancolie, mais l’épuisement physique venait d’ailleurs. Étudiez le Journal d’Héroard, feuilletez les Archives curieuses de l’histoire de France de Cimber et d’Anjou, et vous verrez ce que la thérapeutique propre aux médecins du temps devait exercer d’influence sur les allures d’un parfait amant. « En une seule année, Bouvart, médecin de Louis XIII, le fit saigner quarante-sept fois, lui fit prendre deux cent douze médecines et deux cent quinze lavemens ! » En vérité, mais c’est M. Argan qu’un galant pareil !

Cette figure de Louis XIII, morose et funèbre, s’encadre mieux au théâtre ou dans un roman. Dans l’histoire, tout contribue à son effacement, Richelieu l’écrase, et vous ne l’apercevez que sous ses aspects dolens et misérables, tandis que prise en particulier, elle a toute sorte de jolis côtés anecdotiques. Écoutez Saint-Simon : « Si