Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/940

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce mélancolique était un Bourbon, un prince né dans les imprescriptibles traditions du trône et fort jaloux de son pouvoir. Richelieu commença par se montrer coulant, et remarquons que par la suite, lorsqu’il se sentit le plus solidement établi dans la faveur du maître, ce grand esprit, cet esprit fin, n’eut jamais recours qu’à la persuasion, évitant de violenter un caractère dont il connaissait les défaillances et qui, tout en restant apathique et faible au dedans, devait être amené à se manifester au dehors par des actes de vigueur. Rien de plus facile à concevoir d’ailleurs que cette première répugnance du souverain, et l’on s’explique assez bien qu’un prince qui se croit appelé à l’action n’éprouve d’abord qu’un goût médiocre pour telle supériorité dont les services lui sont si chaleureusement recommandés. Ces services nonobstant furent agréés, grâce aux bons soins de la reine-mère, qui l’avait entre temps fait nommer cardinal. Richelieu prit donc place au conseil en qualité d’auditeur ; c’était peu, mais ce commis attentif fut consulté, ses opinions ne tardèrent pas à prévaloir, et bientôt l’auditeur devenait premier ministre, et l’année 1624 le voyait se donner librement carrière. Il avait trente-huit ans à cette époque ; d’une constitution valétudinaire, quoique tenace, il avait dans sa jeunesse beaucoup vécu et aussi beaucoup travaillé, de là sa pâleur, sa maigreur. Des cheveux noirs et lisses soigneusement écartés du front en rehaussaient la blancheur mate et l’amplitude intellectuelle ; ses sourcils, qu’on eût dits tracés à l’encre de chine, se dessinaient délicatement au-dessus des yeux très grands et d’où le regard jaillissait perçant comme une vrille, un nez d’aigle ennoblissait encore ce visage ; la bouche close, aux rebords minces, s’écartelait au-dessus de la lèvre supérieure d’une moustache en pointe, tandis qu’au-dessous de la lèvre inférieure s’accentuait, allongeant l’ovale, une barbiche à la Henri IV. Maintenant, figurons-nous sur cette tête la calotte rouge, le ruban de l’ordre sur cette poitrine, et sur ces épaules le manteau de pourpre balayant le sol, et peut-être aurons-nous une idée de l’intérêt mêlé d’épouvante qui s’attachait à la présence du terrible cardinal s’avançant d’un pas lent, grave, incertain. « Je suis irrésolu par nature, disait-il à Vieuville, et n’entreprends rien qu’après mûre et longue réflexion ; mais une fois ma détermination prise, je vais droit au but, jetant bas les obstacles, écrasant, fauchant et recouvrant tout de ma soutane rouge. »

Prenez garde, messieurs, le ministre est puissant,
C’est un large faucheur qui verse à flots le sang,
Et puis il couvre tout de sa soutane rouge,
Et tout est dit[1].
  1. Victor Hugo, Marion Delorme, acte II.