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rem part de terre l’enveloppait sur un périmètre de 17 milles marins environ d’étendue. On y entrait par trente-quatre portes de bois. Une autre cité, le Kremlin, cité non plus mongole, mais byzantine, occupait sur une éminence le centre de cette première enceinte. On l’avait entourée d’un rempart de briques qui n’avait pas moins de 18 pieds d’épaisseur, 16 portes, et 2,000 pas de circuit. Cette vaste citadelle renfermait le palais du tsar, 9 églises de pierre et de nombreux couvens. La plupart des villes du Céleste-Empire, Canton entre autres, offrent au voyageur une disposition analogue. La cité de guerre y est inscrite dans la cité marchande, la ville tartare dans la ville chinoise.

Le prince Dolgorouki avait bien choisi, en 1147, le site où devait s’élever, deux siècles plus tard, la rivale de Novgorod, de Kief, de Tver et de Vladimir. Trois rivières, la Neglina, la Jaouza et la Moscova arrosent le territoire qu’une impénétrable forêt couvrait encore au début du XIIe siècle. Ces rivières portèrent à la capitale nouvelle un large tribut d’eaux courantes. La Neglina traversait Moscou du nord au sud, la Jaouza y avait accès du côté de l’est, la Moscova embrassait d’un double repli deux quartiers et un populeux faubourg. En 1308, Daniel Alexandrovitch adossait à la rive gauche de la Moscova la face méridionale de la forteresse qu’il bâtissait en bois et que, vers 1370, Dmitri Donski, le vaillant précurseur d’Ivan III, fit reconstruire en pierre. Sur ses trois autres faces, le Kremlin était défendu par un fossé profond ou par le cours de la Neglina : sacres, demi-sacres, fauconneaux, coulevrines, garnissaient d’ailleurs à l’envi les créneaux et les embrasures ouvertes sur la plaine. Le Kremlin, si l’on considère les moyens d’attaque dont on disposait alors, passait à bon droit pour inexpugnable. Le flot de l’invasion, les bouillonnemens séditieux de la populace, les flammes où tant de fois on vit la Zemlianoï-Gorod se tordre et se débattre dans sa chemise de terre, tous ces fléaux dont les princes de Moscou n’avaient pu réussir encore à prévenir le retour périodique, expiraient impuissans au pied des boulevards du haut desquels la droite du grand-duc et la crosse bénie du métropolitain semblaient les conjurer.

Chancelor dut se résigner à contempler de loin cet inviolable asile et à en mesurer des yeux les remparts. Jamais en effet étranger n’a franchi, sans l’autorisation expresse de l’empereur, les portes où, nuit et jour, veillent les strelitz. Avertis par leurs guides qu’ils devaient attendre patiemment « le plaisir du duc, » les Anglais trouvèrent doux, après plus de deux mois de bivouac, de reposer enfin sous un bon toit de planches. L’hospitalité moscovite ne leur réservait pas cependant les lambris dorés d’un palais ; mais une