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canon, tout cet ensemble, ce concours de toutes les puissances de la nature, de l’art et des grandeurs humaines étaient bien faits pour laisser dans l’esprit une impression durable.

Ismaïl dut être satisfait ; mais quelle occasion de dépenses ! Les bals se succédèrent entre autres divertissemens. Il y en eut au Caire, il y en eut abord des navires, il y en eut dans l’isthme, où son altesse avait ordonné la construction d’un palais. Cet édifice était très vaste, pourvu d’un riche mobilier où l’on voyait prodigués la soie, l’or, les peintures éclatantes. Un souper splendide y fut servi pour des centaines de convives, Les vins coulaient à flots dans ce repas offert par un gouvernement mahométan. Le monde entier avait été invité, et la mauvaise humeur du ministère turc fut comme noyée dans l’unanimité de satisfaction de cette foule si bien traitée et hébergée par la munificence vice-royale depuis son départ d’Europe. Les invités se séparèrent au jour, et de ce moment le palais fut abandonné et commença à tomber en ruine. Ils donnèrent en Europe une idée extraordinaire des richesses dont pouvait disposer le gouvernement égyptien, et contribuèrent sans doute à encourager la souscription aux emprunts futurs de ce gouvernement. Quant à la compagnie de Suez, elle n’avait qu’à décliner la responsabilité de ces magnificences, qui passaient, comme on dit, par-dessus sa tête ; c’est ce qu’elle fit.

L’éclat des cours, le contact de la majesté souveraine, exaltèrent sans doute les imaginations au Caire, car depuis cette brillante époque on y vit se succéder les cérémonies les plus magnifiques. Lors du mariage d’une princesse, la population mélangée de cette ville assista, non sans une profonde surprise, à des démonstrations auxquelles les cortèges de féeries sur nos théâtres ne pouvaient être avantageusement comparées. On y vit, chose inouïe, une armée de valets vêtus de la plus riche livrée, une livrée copiée très fidèlement sur celle des gens de la maison de Louis XIV ! Se figure-t-on des Arabes, des mahométans, le chef couvert d’une ample perruque poudrée à blanc ! Ces pauvres gens ne furent sans doute pas les moins étonnés de leur métamorphose. Cette cérémonie d’un goût douteux, mais certainement fort coûteuse, fut suivie d’une autre fantaisie beaucoup plus dispendieuse encore. Quand un fils de famille en France court à sa ruine définitive, il protège les arts, commandite des théâtres et devient le patron des corps de ballets. Le gouvernement du pays ne refusa pas cette distraction à l’Égypte. A la veille d’une suspension de paiemens et lorsqu’il était déjà facile de la prévoir, un théâtre subventionné fut construit au Caire ; un opéra fut demandé à un compositeur justement célèbre. On eut sur les bords du Nil la primeur de cette œuvre. On s’y donna