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Russie aussi bien que pour la Pologne ; il arrêta ce beau zèle au moment opportun, au moment physiologique où la rupture fut consommée entre la France et la Russie. L’idée d’une coalition franco-russe l’avait sans cesse hanté et obsédé depuis la guerre de Crimée ; c’en était fait. Ce n’était plus du côté de la France que la Russie regardait, elle avait fait son pacte avec la Prusse. Palmerston signifia à lord Russell qu’il fallait mettre le dernier post-scriptum à sa trop longue correspondance avec le prince Gortchakof. Il ne fut plus question de la Pologne : l’alliance du nord était faite. Des paroles mystérieuses avaient été portées à Londres, et Palmerston eut de quoi se consoler de la déconvenue de son ministre des affaires étrangères.

Il n’a plus qu’une pensée : il pressent la grande guerre européenne, la lutte entre la France et la Germanie ; il veut la retarder autant qu’il est en lui, gagner du temps, craignant toujours que la France n’en sorte triomphante, qu’elle ne porte sa frontière jusqu’au Rhin, et ne prenne la Belgique avec les provinces rhénanes allemandes. Napoléon III, qui ne cessait de remuer des « idées, » invita les souverains de l’Europe à un congrès qui, dans son esprit, devait remplacer les traités surannés de 1815 par un ensemble de combinaisons politiques appropriées à des besoins nouveaux. Lord Palmerston n’eut garde de se jeter dans cette mer sans rives d’un congrès universel. Il donna confidentiellement au roi Léopold les explications suivantes (lettre du 15 novembre 1863) : « Le sujet que traite la lettre de votre majesté est de grande importance et demande mûre considération. Nous avons répondu à l’empereur, en substance, que nous n’admettons pas que les traités de Vienne aient perdu leur force, que bien au contraire ils sont la base des arrangemens existans en Europe ; que, pour le congrès proposé, avant que nous n’arrivions à une décision, nous aimerions à connaître les sujets qu’il aura à discuter et les moyens qu’il aura de donner effet à ses décisions. » Il ne cache pas au roi des Belges que, dans sa pensée, il n’y aura pas de congrès. L’empereur Napoléon III n’y croit pas plus que lui. Tout ce qu’il a voulu, c’est agiter les cours et l’opinion publique. M. Drouyn de Lhuys, quand on lui demande comment procéderait le congrès, dit qu’on pourrait reprendre les traités de 1815 article par article, effacer ceux qui se trouvent de fait annulés, et garder le reste sous le nom de traité de 1863, un nom qui ne rappellerait pas à la France Waterloo et Sainte-Hélène. « C’est là, dit Palmerston, un sentiment naturel chez des Français ; mais faut-il que toute l’Europe s’assoie autour d’une table pour faire plaisir à la nation française ? Ceux qui tiennent en ce moment leurs provinces avec un bon titre de propriété qui a plus de cinquante ans de date, ne seront pas particulièrement désireux